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mercredi 30 août 2017

Les folies d’Anne Hidalgo

Anne Hidalgo met les Parisiens en danger ; l’avertissement du préfet

Les Parisiens devraient se méfier avant de partir en vacances ; il est toujours dangereux de laisser Anne Hidalgo seule. Sa dernière fantaisie : réduire le trafic automobile à une voie unique sur un axe très emprunté du centre de la capitale, la rue de Rivoli. Le chantier déjà  commencé prévoit  la construction, rue de Rivoli, d’une piste cyclable à double sens de 4 mètres de large de Bastille à Concorde en lieu et place d’une des deux files de circulation de cet axe très emprunté du centre de la capitale. Résultat : le trafic automobile, parfois congestionné aux heures de pointe, devra s’écouler sur une seule voie, à côté du couloir de bus, et de celle dévolue demain aux vélos.

Cette fois le Préfet de Police a protesté et fait état de sérieuses réserves, tout d’abord à propos de la circulation générale :

« Il est envisagé en l’état de réorienter plus de la moitié du trafic actuel (1 300 véhicules par heure) vers des axes déjà fortement empruntés (boulevard Bourdon) ou concernés à court terme par des aménagements »

Mais surtout, il insiste sur les risques encourus en matière de secours :

« L’activité de cette rue, avec de nombreux commerces, générera inévitablement l’arrêt et le stationnement de véhicules de livraison, de dépannage, etc., qui régulièrement neutraliseront l’usage de la voie bus, c’est-à-dire aussi de la voie dont l’accès doit être garanti pour les véhicules de police et de secours », s’inquiète Michel Delpuech dans sa lettre adressée à Anne Hidalgo.

Alors voilà, faudra-t-il attendre que des gens meurent en attendant des secours retardés parce que Mme Hidalgo veut une piste cycliste à deux voies rue de Rivoli. Avec son sens de l’écoute si particulier, elle a simplement répondu : pas question de modifier les plans.  Le plan d’aménagement de la rue de Rivoli est pertinent » »

La colère monte

Ajoutons la réouverture de la voie sur Berge George Pompidou avec une seule file de circulation que vont découvrir les Parisiens à la rentrée. Et les résultats des précédentes opérations, bien mis en évidence par un rapport accablant pour Anne Hidalgo  commandé par Valérie Pécresse. Un comité d'experts indépendants dirigé par le médecin-chef du Samu de Paris se penche depuis septembre 2016 sur la circulation à Paris et publie un compte rendu mensuel de l'état des embouteillages et de la pollution.
Les premiers résultats confortent les critiques adressées à la maire de Paris selon lesquelles la piétonnisation des voies sur berges a été décidée pour le confort de Parisiens mais handicape fortement les travailleurs de banlieue. Ainsi, aux heures de pointe, le soir, le temps des trajets augmente de 16 % à proximité de Vélizy, de 22 % entre Thiais et Créteil. Le matin, cela coince également sur le périphérique, en particulier dans l'Ouest parisien (voir carte publiée dans Le Figaro). Dans Paris, le trafic est fortement ralenti un peu partout, matin et soir, avec des temps de trajets qui peuvent parfois doubler.
A cela Anne Hidalgo répond, avec toujours la même qualité d’écoute : « « La question des embouteillages existe depuis longtemps, Paris a pris du retard, car on n’avait pas les pouvoirs sur un certain nombre de voiries, que j’ai récupérés avec la loi sur le statut de Paris. »
Et, en réponse à 168 maires franciliens en colère, elle a répondu : « À terme, la circulation se régulera d'elle-même».
Eh bien on voit l’usage qu’elle fait de ses nouveaux pouvoirs pour empoisonner la vie des Franciliens et des Parisiens. Quelques réactions :

Le maire LR du 1er arrondissement, M. Legaret, pourtant favorable à une action résolue contre la pollution proteste : « Mais avec cette majorité, nous sommes confrontés à une absence totale de concertation et d’écoute, un vrai déni de démocratie ». À l’Assemblée, le 11 janvier, Sylvain Berrios, député LR du Val-de-Marne, a même parlé du « bras d’honneur » fait à ceux qui ont besoin de déplacer en voiture dans Paris. Treize communes de ce département ont d’ailleurs déposé un recours devant le tribunal administratif contre la piétonisation de la rive droite (la Région et cinq départements franciliens ont également engagé une procédure de contestation). Même le député LREM de Paris, Sylvain Maillard, dénonce la façon dont la maire de Paris s'attaque à la problématique automobile. « Avant d'être cycliste, le Parisien est piéton. Le vélo n'est pas l'avenir de l'homme et Paris n'est pas l'Inde. Or Anne Hidalgo est persuadée qu'en développant les pistes cyclables, tout le monde va s'y mettre, mais c'est faux. Elle agit par dogmatisme et par facilité. »

Des autobus qui sont des bétaillères

Dogmatisme et même une haine irrationnelle contre l’automobile et les automobilistes, par choix ou contrainte. Et si encore elle avait amélioré les transports en commun. Mais avez-vous eu l’occasion, par ces temps de canicule, de prendre les derniers autobus commandés par la Mme Hidalgo, les bus électrique. Non seulement le nombre des places assisses y a été ridiculement et scandaleusement réduits, mais encore, il a fallu choisir : ou c’est le bus électrique, ou c’est la clim. Donc Parisiens, c’est le transport dans des bétaillères surchauffées, debout, au bord du malaise.
Oui c’est parfaitement cela dogmatisme, autisme, mépris de classe. Mme Hidalgo a décrété qu’elle ne s’intéressait qu’aux Parisiens qui vivent à Paris,, qui travaillent à Paris, qui n’ont pas d’enfants à mener à l’école ou à divers endroits, qui n’ont pas à faire de courses importants, et qui ne fréquentent jamais la banlieue. Les autres ne l’intéressent pas, eh bien il est fort possible que sa prochaine candidature ne les intéressent pas non plus.
Mme Hidalgo a prétendu avoir fait l’objet de menaces : « Les lobbies automobiles, les lobbies du diesel (…) sont venus me menacer dans mon bureau ». En fait, entre sa gestion fanatique de la circulation, la saleté grandissante de Paris, les problèmes sans cesse renouvelés des immigrés illégaux, des vols et de la mendicité, Mme Hidalgo n’ose-telle même plus se promener dans Paris tant elle soulève la colère de nombre de ses administrés qu’elle rend littéralement fous en leur pourrissant la vie

Cela ne peut plus continuer longtemps ainsi.


SNCF : la grande pagaille du 30 juillet

La grande pagaille du 30 juillet 2017 du jamais vu ! de l’inédit

Retour de Bretagne Dimanche 30 juillet. Arrivée en gare de Lorient. 10 minutes avant le départ, mon TGV ( et le suivant) sont annulés- alors qu’ils étaient confirmés sur le système informatique. Ne reste qu’un seul TGV à partir vers 20h30. Les voyageurs qui le peuvent sont invités à essayer de partir le lendemain- sans trop de garanties sur les TGV qui existeront ou pas- les autres peuvent tenter leur chance sur le dernier TGV. Pour celui-ci, les arrêts annoncés varient (Rennes prévu au début, ensuite abandonné à Vannes d’où un TGV supplémentaire est annoncé plus tard. Un train plus que  bondé, avec de nombreux voyageurs debout,  où les appels des controleurs à prendre un train plus tard ou le le lendemain restent largement ignorés et qui devra avancer à petit vitesse ( TGV : Tortue à grande vitesse ?). Un trajet de 9 heures, (au lieu de 3 théoriques) arrivée à Montparnasse vers 4h du matin et la noria des taxis.

Sans ironie aucune, Merci au personnel de la SNCF en gare et dans les trains, aux taxis parisiens, aux policiers mobilisés, pour leur aide, leur disponibilité, leur calme, leur efficacité au milieu de l’effondrement.

Mais je n’en dirai pas autant pour la direction de la SNCF, dont l’inénarrable Guillaume Pepy au premier plan. La catastrophe du week end noir du 30 juillet, (le moment où il de doit pas y avoir de pannes, 55.000 voyageurs touchés par les annulations et les retards des trains) était tout sauf inattendue : Ces derniers mois, les incidents se sont multipliés sur les lignes au départ de Montparnasse. Le Paris-Rennes du 24 juillet a eu huit heures de retard, en raison d’une panne électrique liée à une caténaire défectueuse après Le Mans. Le 17 juillet, la circulation des TGV était perturbée à la suite d’un problème d’alimentation électrique de la gare parisienne. Dix jours auparavant, le premier TGV reliant Saint-Brieuc était arrivé avec deux heures de retard en raison d’une panne de signalisation à Chartres.
Le 4 avril, un dysfonctionnement de l’alimentation électrique, à la sortie de Montparnasse a bloqué le trafic pendant plus d’une heure. En janvier, la casse d’un aiguillage à la gare de Clamart entraînait la fermeture complète de la circulation vers Paris…
Déjà, en février 1995, la SNCF avait été condamnée pour des retards à répétition. Deux associations d’usagers s’étaient plaintes de leur caractère systématique sur des lignes de banlieue, imputables à des incidents techniques affectant le matériel mais aussi à la signalisation.
Bon, c’est pas l’accident de Brétigny, ses 7 morts et 70 blessés, la mise en examen de la SNCF et de réseau Ferré de France et ces éléments révélés par Media Part : la direction de la SNCF a, pendant plusieurs mois après l'accident, refusé de réduire la vitesse sur des tronçons dangereux, ceci afin de cacher sa connaissance du mauvais état des voies en question.
D’où un vrai mystère : comment le très nocif Guillaume Pepy a-t-il pu survivre à la tête de la SNCF ?

Mais bon sang, quand est-ce que Pepy  est viré ? Et sans indemnités ?

Avec un pareil bilan , n‘importe qui d’autre aurait été viré

Alors faut-il supposer que M. Pepy serait intouchable en raison de son appartenance au milieu gay dont il ne se cache pas.  Lui est-il tout permis comme à son très cher ami Richard Descoings, feu le mirifique directeur de Science Po Paris, contre qui personne n’osait la moindre critique  et dont il a été révélé, après sa mort à quel point il avait abusé da sa situation, tant au point de vue financier ( cf. Le rapport de la Cour des Comptes fustigeant l'opacité de la gestion de l'IEP pendant sa présidence, l'augmentation très importante des primes que la direction s'est accordées et le fait que la politique de développement de Sciences Po n'a pu être mise en œuvre qu'au prix d'une fuite en avant financière et d'une gestion peu scrupuleuse des deniers publics ».) qu’au point de vue personnel- sa cour privilégiée de mignons ?
Il y aurait en Chine les Princes Rouge et en France les Princes de l’Etat Gay (cf. Richie de Raphaëlle Bacqué) également intouchables ???
Je préfère une autre hypothèse. M. Pepy s’est fait le serviteur très docile, le bon petit soldat de l’absurde politique de la libéralisation des transports exigée par la Commission Européenne et endossée par nos gouvernements successifs, et qui conduira la SNCF à devoir abandonner le monopole du trafic passager sur son réseau, après celui des marchandises. Nous voyons déjà les effets de cette politique avec l’indépendance imposée de Réseau ferré de France et de la SNCF avec pour résultat la façon totalement indécente, comme pour la catastrophe de Brétigny ou les pagailles successives telles celles du 30 juillet, dont les deux entités se rejettent les responsabilités l’une sur l’autre. Tout le monde peut aussi savoir combien cette même politique de libéralisation du transport ferroviaire a été catastrophique en Grande Bretagne.
Mais peu importe aux thuriféraires béats du libéralisme et aux idiots utiles de quelques puissances financières. Et pour eux, comme pour leur fidèle agent M. Pepy, moins ça va à la SNCF, mieux ça va, car il est alors plus facile de remettre en cause le monopole,, même si tous les exemples montrent que la libéralisation conduira au pire !
Lobby gay ou  lobby financier libéral ?

Quoi qu’il en soit, ma seule revendication, , même si je n’y crois plus guère : Mais bon sang, quand est-ce que Pepy  est viré ?


mardi 22 août 2017

Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_107_ Thermidor

Les Jacobins après Thermidor- la foi a péri. Comment les Jacobins tentent de  se maintenir au pouvoir (Fructidor, non repris ici) ; La société civile est dissoute ; Vers le pouvoir militaire : la discipline des cœurs ; la caserne philosophique de Napoléon

Les Jacobins après Thermidor : la foi a péri

Pourtant, eux aussi, les souverains repus, ils ont leur souci, un souci grave, et on vient de voir lequel : il s’agit pour eux de rester en place, afin de rester en vie, et désormais il ne s’agit pour eux que de cela. – Jusqu’au 9 Thermidor, un bon Jacobin pouvait, en se bouchant les yeux, croire à son dogme  , après le 9 Thermidor, à moins d’être un aveugle-né, comme Soubrany, Romme et Goujon, un fanatique dont les organes intellectuels sont aussi raidis que les membres d’un fakir, personne, dans la Convention, ne peut plus croire au Contrat social, au socialisme égalitaire et autoritaire, aux mérites de la Terreur, au droit divin des purs. Car il a fallu, pour échapper à la guillotine des purs, guillotiner les plus purs, Saint-Just, Couthon et Robespierre, le grand prêtre de la secte : ce jour-là, les Montagnards, en lâchant leur docteur, ont lâché leur principe, et il n’y a plus de principe ni d’homme auquel la Convention puisse se raccrocher ; en effet, avant de guillotiner Robespierre et consorts comme orthodoxes, elle a guillotiné les Girondins, Hébert et Danton, comme hérétiques. Maintenant « l’existence des idoles populaires et des charlatans en chef est irrévocablement finie   ».
 Dans le temple ensanglanté, devant le sanctuaire vide, on récite toujours le symbole convenu et l’on chante à pleine voix l’antienne accoutumée ; mais la foi a péri, et, pour psalmodier l’office révolutionnaire, il ne reste que les acolytes, d’anciens thuriféraires et porte-queues, des bouchers subalternes qui, par un coup de main, sont devenus pontifes, bref des valets d’église qui ont pris la crosse et la mitre de leurs maîtres, après les avoir assassinés.
De mois en mois, sous la pression de l’opinion publique, ils se détachent du culte qu’ils ont desservi ; en effet, si faussée et si paralysée que soit leur conscience, ils ne peuvent pas ne pas s’avouer que le jacobinisme, tel qu’ils l’ont pratiqué, était la religion du vol et du meurtre. Avant Thermidor, une phraséologie officielle couvrait de son ronflement doctrinal   le cri de la vérité vivante, et chaque sacristain ou bedeau conventionnel, enfermé dans sa chapelle, ne se représentait nettement que les sacrifices humains auxquels, de ses propres mains, il avait pris part. Après Thermidor, les proches et les amis des morts, les innombrables opprimés, parlent, et il est forcé de voir l’ensemble et le détail de tous les crimes auxquels, de près ou de loin, il a collaboré par son assentiment et par ses votes : tel, à Mexico, un desservant de Huichilobos promené parmi les six cent mille crânes entassés dans les caves de son temple. – Coup sur coup, pendant toute la durée de l’an III, par la liberté de la presse et par les grands débats publics, la vérité éclate. C’est d’abord l’histoire lamentable des cent trente-deux Nantais traînés à pied de Nantes à Paris, et les détails de leur voyage mortuaire   ; on applaudit avec transport à l’acquittement des quatre-vingt-quatorze qui ont survécu. Ce sont ensuite les procès des plus notables exterminateurs  , le procès de Carrier et du Comité révolutionnaire de Nantes, le procès de Fouquier-Tinville et du Tribunal révolutionnaire de Paris, le procès de Joseph Lebon : pendant trente ou quarante séances consécutives, des centaines de dépositions circonstanciées et vérifiées aboutissent à la preuve faite et parfaite. – Cependant, à la tribune de la Convention, les révélations se multiplient : ce sont les lettres des nouveaux représentants en mission et les dénonciations des villes contre leurs tyrans déchus, contre Maignet, Dartigoeyte, Piochefer Bernard, Levasseur, Crassous, Javogues, Lequinio, Lefiot, Piorry, Pinet, Monestier, Fouché, Laplanche, Le Carpentier et tant d’autres ; ce sont les rapports des commissions chargées d’examiner la conduite des anciens dictateurs, Collot d’Herbois, Billaud-Varennes, Barère, Amar, Voulland, Vadier et David ; ce sont les rapports des représentants chargés d’une enquête sur quelque partie du régime aboli, celui de Grégoire sur le vandalisme révolutionnaire, celui de Cambon sur les taxes révolutionnaires, celui de Courtois sur les papiers de Robespierre. – Toutes ces lumières se rejoignent en une clarté terrible et qui s’impose même aux yeux qui s’en détournent : il est trop manifeste à présent que, pendant quatorze mois, la France a été saccagée par une bande de malfaiteurs   ; tout ce qu’on peut dire pour excuser les moins pervers et les moins vils, c’est qu’ils étaient nés stupides ou qu’ils étaient devenus fous.
 – A cette évidence croissante, la majorité de la Convention ne peut se soustraire, et les Montagnards lui font horreur ; d’autant plus qu’elle a des rancunes : les soixante-treize détenus et les seize proscrits qui ont repris leurs sièges, les quatre cents muets qui ont si longtemps siégé sous le couteau, se souviennent de l’oppression qu’ils ont subie, et ils se redressent, d’abord contre les scélérats les plus souillés, ensuite contre les membres des anciens comités. – Là-dessus, selon sa coutume, la Montagne, dans les émeutes de germinal et de prairial an III, lance ou soutient sa clientèle ordinaire, la populace affamée, la canaille jacobine, et proclame la restauration de la Terreur ; de nouveau, la Convention se sent sous la hache. — Sauvée par les jeunes gens et par la garde nationale, elle prend enfin courage à force de peur, et à son tour elle terrorise les terroristes : le faubourg Saint-Antoine est désarmé, dix mille Jacobins sont arrêtés, plus de soixante Montagnards sont décrétés d’accusation ; on décide que Collot d’Herbois, Barère, Billaud-Varennes et Vadier seront déportés ; neuf autres membres des anciens comités sont mis en prison ; les derniers des vrais fanatiques, Romme, Goujon, Soubrany, Duquesnoy, Bourbotte et Du Roy, sont condamnés à mort ; aussitôt après la sentence, dans l’escalier du tribunal, cinq d’entre eux se poignardent ; deux blessés qui survivent sont portés à l’échafaud et guillotinés avec le sixième ; deux autres Montagnards de la même trempe, Ruhl et Maure, se tuent avant la sentence  . – Désormais la Convention épurée se croit pure ; ses rigueurs finales ont expié ses lâchetés anciennes, et, dans le sang coupable qu’elle verse, elle se lave du sang innocent qu’elle a versé.
Par malheur, en condamnant les Terroristes, c’est elle-même qu’elle condamne, car elle a autorisé et sanctionné tous leurs crimes. Sur ses bancs et dans ses comités, parfois au fauteuil de la présidence et à la tête de la coterie dirigeante, figurent encore plusieurs membres du gouvernement révolutionnaire, nombre de francs Terroristes comme Bourdon de l’Oise, Delmas, Bentabole et Reubell ; des présidents de la Commune de septembre comme Marie-Joseph Chénier ; des exécutants du 31 mai comme Legendre ; l’auteur du décret qui a fait en France six cent mille suspects, Merlin de Douai ; des bourreaux de la province, et les plus brutaux, les plus féroces, les plus voleurs, les plus cyniques, André Dumont, Fréron, Tallien, Barras. Eux-mêmes les quatre cents muets « du ventre » ont été, sous Robespierre, les rapporteurs, les votants, les claqueurs, les agents des pires décrets contre la religion, la propriété et les personnes. Tous les fondements de la Terreur ont été posés par les soixante-treize reclus avant leur réclusion et par les seize proscrits avant leur proscription

La société civile est dissoute

Si la République jacobine meurt, ce n’est pas seulement parce qu’elle est décrépite et qu’on la tue, c’est encore parce qu’elle n’est pas née viable : dès son origine, il y avait en elle un principe de dissolution, un poison intime et mortel, non seulement pour autrui, mais pour elle-même. – Ce qui maintient une société politique, c’est le respect de ses membres les uns pour les autres, en particulier le respect des gouvernés pour les gouvernants et des gouvernants pour les gouvernés, par suite, des habitudes de confiance mutuelle ; chez les gouvernés, la certitude fondée que les gouvernants n’attaqueront pas les droits privés ; chez les gouvernants, la certitude fondée que les gouvernés n’assailliront pas les pouvoirs publics ; chez les uns et chez les autres, la reconnaissance intérieure que ces droits, plus ou moins larges ou restreints, sont inviolables, que ces pouvoirs, plus ou moins amples ou limités, sont légitimes ; enfin, la persuasion qu’en cas de conflit le procès sera conduit selon les formes admises par la loi ou par l’usage, que, pendant les débats, le plus fort n’abusera pas de sa force, et que, les débats clos, le gagnant n’écrasera pas tout à fait le perdant. À cette condition seulement, il peut y avoir concorde entre les gouvernants et les gouvernés, concours de tous à l’œuvre commune, paix intérieure, partant stabilité, sécurité, bien-être et force. Sans cette disposition intime et persistante des esprits et des cœurs, le lien manque entre les hommes. Elle constitue le sentiment social par excellence ; on peut dire qu’elle est l’âme dont l’État est le corps.
Or, dans l’État jacobin, cette âme a péri ; elle a péri, non par un accident imprévu, mais par un effet forcé du système, par une conséquence pratique de la théorie spéculative qui, érigeant chaque homme en souverain absolu, met chaque homme en guerre avec tous les autres, et qui, sous prétexte de régénérer l’espèce humaine, déchaîne, autorise et consacre les pires instincts de la nature humaine, tous les appétits refoulés de licence, d’arbitraire et de domination.
Au nom du peuple idéal qu’ils déclarent souverain et qui n’existe pas, les Jacobins ont usurpé violemment tous les pouvoirs publics, aboli brutalement tous les droits privés, traité le peuple réel et vivant comme une bête de somme, bien pis, comme un automate, appliqué à leur automate humain les plus dures contraintes, pour le maintenir mécaniquement dans la posture antinormale et raide que, d’après les principes, ils lui infligeaient. Dès lors, entre eux et la nation, tout lien a été brisé ; la dépouiller, la saigner et l’affamer, la reconquérir quand elle leur échappait, l’enchaîner et la bâillonner à plusieurs reprises, ils l’ont bien pu ; mais la réconcilier à leur gouvernement, jamais. – Entre eux, et pour la même raison, par une autre conséquence de la même théorie, par un autre effet des mêmes appétits, nul lien n’a pu tenir. Dans l’intérieur du parti, chaque faction, s’étant forgé son peuple idéal selon sa logique et selon ses besoins, a revendiqué pour soi, avec les privilèges de l’orthodoxie, le monopole de la souveraineté   ; pour s’assurer les bénéfices de l’omnipotence, elle a combattu ses rivales par des élections contraintes, faussées ou cassées, par des complots et des trahisons, par des guet-apens et des coups de force, avec les piques de la populace, avec les baïonnettes des soldats ; ensuite elle a massacré, guillotiné, fusillé, déporté les vaincus, comme traîtres, tyrans ou rebelles, et les survivants s’en souviennent. Ils ont appris ce que durent leurs constitutions dites éternelles ; ils savent ce que valent leurs proclamations, leurs serments, leur respect du droit, leur justice, leur humanité ; ils se connaissent pour ce qu’ils sont, pour des frères Caïns  , tous plus ou moins avilis et dangereux, salis et dépravés par leur œuvre : entre de tels hommes, la défiance est incurable. Faire des manifestes, des décrets, des cabales, des révolutions, ils le peuvent encore, mais se mettre d’accord et se subordonner de cœur à l’ascendant justifié, à l’autorité reconnue de quelques-uns ou de quelqu’un d’entre eux, ils ne le peuvent plus. – Après dix ans d’attentats réciproques, parmi les trois mille législateurs qui ont siégé dans les assemblées souveraines, il n’en est pas un qui puisse compter sur la déférence et sur la fidélité de cent Français. Le corps social est dissous ; pour ses millions d’atomes désagrégés, il ne reste plus un seul noyau de cohésion spontanée et de coordination stable. Impossible à la France civile de se reconstruire elle-même ; cela lui est aussi impossible que de bâtir une Notre-Dame de Paris ou un Saint-Pierre de Rome avec la boue des rues et la poussière des chemins.

Vers le pouvoir militaire : la discipline des coeurs

Il en est autrement dans la France militaire. – Là, les hommes se sont éprouvés les uns les autres, et dévoués les uns aux autres, les subordonnés aux chefs, les chefs aux subordonnés, et tous ensemble à une grande œuvre. Les sentiments forts et sains qui lient les volontés humaines en un faisceau, sympathie mutuelle, confiance, estime, admiration, surabondent, et la franche camaraderie encore subsistante de l’inférieur et du supérieur  , la familiarité libre et gaie, si chère aux Français, resserrent le faisceau par un dernier nœud. Dans ce monde préservé des souillures politiques et ennobli par l’habitude de l’abnégation  , il y a tout ce qui constitue une société organisée et viable, une hiérarchie, non pas extérieure et plaquée, mais morale et intime, des titres incontestés, des supériorités reconnues, une subordination acceptée, des droits et des devoirs imprimés dans les consciences, bref ce qui a toujours manqué aux institutions révolutionnaires, la discipline des cœurs. Donnez à ces hommes une consigne, ils ne la discuteront pas ; pourvu qu’elle soit légale ou semble l’être, ils l’exécuteront, non seulement contre des étrangers, mais contre des Français ; c’est ainsi que déjà, le 13 Vendémiaire, ils ont mitraillé les Parisiens, et, le 18 Fructidor, purgé le Corps législatif. Vienne un général illustre : pourvu qu’il garde les formes, ils le suivront et recommenceront l’épuration encore une fois. – Il en vient un qui, depuis trois ans, ne pense pas à autre chose, mais qui cette fois ne veut faire l’opération qu’à son profit ; c’est le plus illustre de tous, et justement le conducteur ou promoteur des deux premières, celui-là même qui a fait, de sa personne, le 13 Vendémiaire, et, par les mains de son lieutenant Augereau, le 18 Fructidor. — Qu’il s’autorise d’un simulacre de décret, et se fasse nommer, par la minorité d’un des Conseils, commandant général de la force armée : la force armée marchera derrière lui. – Qu’il lance les proclamations ordinaires, qu’il appelle à lui « ses camarades » pour sauver la République et faire évacuer la salle des Cinq-Cents : ses grenadiers entreront, baïonnettes en avant, dans la salle, et riront même   en voyant les députés, costumés comme à l’Opéra, sauter précipitamment par les fenêtres. — Qu’il ménage les transitions, qu’il évite le nom malsonnant de dictateur, qu’il prenne un titre modeste et pourtant classique, romain, révolutionnaire, qu’il soit simple consul avec deux autres : les militaires, qui n’ont pas le loisir d’être des publicistes et qui ne sont républicains que d’écorce, ne demanderont pas davantage ; ils trouveront très bon pour le peuple français leur propre régime, le régime autoritaire sans lequel il n’y a pas d’armée, le commandement absolu aux mains d’un seul. — Qu’il réprime les Jacobins outrés, qu’il révoque leurs récents décrets sur les otages et l’emprunt forcé, qu’il rende aux personnes, aux propriétés, aux consciences la sûreté et la sécurité, qu’il remette l’ordre, l’économie et l’efficacité dans les administrations, qu’il pourvoie aux services publics, aux hôpitaux, aux routes, aux écoles : toute la France civile acclamera son libérateur, son protecteur, son réparateur  . — Selon ses propres paroles, le régime qu’il apporte est « l’alliance de la philosophie et du sabre ». Par philosophie, ce qu’on entend alors, c’est l’application des principes abstraits à la politique, la construction logique de l’État d’après quelques notions générales et simples, un plan social uniforme et rectiligne ; or, comme on l’a vu  , la théorie comporte deux de ces plans, l’un anarchique, l’autre despotique. Naturellement, c’est le second que le maître adopte, et c’est d’après ce plan qu’il bâtit, en homme pratique, à sable et à chaux, un édifice solide, habitable, bien approprié à son objet. Toutes les masses du gros œuvre, code civil, université, concordat, administration préfectorale et centralisée, tous les détails de l’aménagement et de la distribution, concourent à un effet d’ensemble, qui est l’omnipotence de l’État, l’omniprésence du gouvernement, l’abolition de l’initiative locale et privée, la suppression de l’association volontaire et libre, la dispersion graduelle des petits groupes spontanés, l’interdiction préventive des longues œuvres héréditaires, l’extinction des sentiments par lesquels l’individu vit au-delà de lui-même, dans le passé et dans l’avenir. On n’a jamais fait une plus belle caserne, plus symétrique et plus décorative d’aspect, plus satisfaisante pour la raison superficielle, plus acceptable pour le bon sens vulgaire, plus commode pour l’égoïsme borné, mieux tenue et plus propre, mieux arrangée pour discipliner les parties moyennes et basses de la nature humaine, pour étioler ou gâter les parties hautes de la nature humaine. – Dans cette caserne philosophique, nous vivons depuis quatre-vingts ans.


Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_106_ la répression sous la Terreur (2)

La Terreur Jacobine _ Les massacres extra judicaires : 500,000 dans les départements de l’Ouest ; Le pillage généralisé et la gabegie financière ; La répression touche aussi les classes populaires - l’opération révolutionnaire est une coupe sombre, conduite à travers le peuple comme à travers les autres classes ; L’élite intellectuelle spécialement visée

Les massacres extra judicaires : 500,000 dans les départements de l’Ouest

De ce dernier genre sont d’abord des fusillades de Toulon, où le nombre des fusillés dépasse de beaucoup 1 000   ; les grandes noyades de Nantes, où 4 800 hommes, femmes et enfants ont péri   ; les autres noyades  , pour lesquelles on ne peut fixer le chiffre des morts ; ensuite, les innombrables meurtres populaires commis en France depuis le 14 juillet 1789 jusqu’au 10 août 1792 ; le massacre de 1 300 détenus à Paris en septembre 1792 ; la traînée d’assassinats qui, en juillet, août et septembre 1792, s’étend sur tout le territoire ; enfin, l’égorgement des prisonniers fusillés ou sabrés sans jugement à Lyon et dans l’Ouest. Même en exceptant ceux qui sont morts en combattant et ceux qui, pris les armes à la main, ont été fusillés ou sabrés tout de suite et sur place, on compte environ 10 000 personnes tuées sans jugement dans la seule province d’Anjou   ; aussi bien les instructions du Comité de Salut public, les ordres écrits de Francastel et Carrier, prescrivaient aux généraux de « saigner à blanc » le pays insurgé  , et de n’y épargner aucune vie : on peut estimer que, dans les onze départements de l’Ouest, le chiffre des morts de tout âge et des deux sexes approche d’un demi-million  . – À considérer le programme et les principes de la secte jacobine, c’est peu : ils auraient dû tuer bien davantage. Malheureusement, le temps leur a manqué ; pendant la courte durée de leur règne, avec l’instrument qu’ils avaient en main, ils ont fait ce qu’ils ont pu. Considérez cette machine, sa construction graduelle et lente, les étapes successives de sa mise en jeu, depuis ses débuts jusqu’au 9 Thermidor, et voyez pendant quelle brève période il lui a été donné de fonctionner. Institués le 30 mars et le 6 avril 1793, les comités révolutionnaires et le tribunal révolutionnaire n’ont guère travaillé que dix-sept mois. Ils n’ont travaillé de toute leur force qu’après la chute des Girondins, et surtout à partir de septembre 1793, c’est-à-dire pendant onze mois. La machine n’a coordonné ses organes incohérents et n’a opéré avec ensemble, sous l’impulsion du ressort central, qu’à partir de décembre 1793, c’est-à-dire pendant huit mois. Perfectionnée par la loi du 22 prairial, elle opère, pendant les deux derniers mois, bien plus et bien mieux qu’auparavant, avec une rapidité et une énergie qui croissent de semaine en semaine.
– A cette date et même avant cette date, les théoriciens du parti ont mesuré la portée de leur doctrine et les conditions de leur entreprise. Étant des sectaires, ils ont une foi ; or l’orthodoxie ne peut tolérer l’hérésie, et, comme la conversion des hérétiques n’est jamais sincère ni durable, il faut supprimer les hérétiques, afin de supprimer l’hérésie. « Il n’y a que les morts qui ne reviennent pas », disait Barère, le 16 messidor. Le 2 et le 3 thermidor  , le Comité de Salut public envoie à Fouquier-Tinville une liste de 478 accusés, avec ordre « de mettre à l’instant les dénommés en jugement ». Déjà Baudot et Jeanbon Saint-André, Carrier, Antonelle et Guffroy avaient évalué à plusieurs millions le nombre des vies qu’il fallait trancher  , et, selon Collot d’Herbois, qui avait parfois l’imagination pittoresque, « la transpiration politique devait être assez abondante pour ne s’arrêter qu’après la destruction de douze à quinze millions de Français ».

Le pillage généralisé et la gabegie financière

En revanche, dans la quatrième et dernière partie de leur œuvre, ils sont allés presque jusqu’au bout ; tout ce qu’on pouvait faire pour ruiner les individus, les familles et même l’État, ils l’ont fait ; tout ce qu’on pouvait prendre, ils l’ont pris. – De ce côté, la Constituante et la Législative avaient commencé la besogne par l’abolition, sans indemnité, de la dîme et de tous les droits féodaux, par la confiscation de toute la propriété ecclésiastique ; cette besogne, les opérateurs jacobins la continuent et l’achèvent : on a vu par quels décrets, avec quelle hostilité contre la propriété collective et individuelle, soit qu’ils attribuent à l’État les biens de tous les corps quelconques, même laïques, collèges, écoles, sociétés scientifiques ou littéraires, hôpitaux et communes, soit qu’ils dépouillent les particuliers, indirectement, par les assignats et le maximum, directement par l’emprunt forcé, par les taxes révolutionnaires  , par la saisie de l’or et de l’argent monnayé et de l’argenterie, par la réquisition de toutes les choses utiles à la vie, par la séquestration des biens des détenus, par la confiscation des biens des émigrés, des bannis, des déportés et des condamnés à mort. – Pas un capital immobilier ni mobilier, pas un revenu en argent ou en nature, quelle qu’en soit la source, bail, hypothèque ou créance privée, pension ou titre sur les fonds publics, profits de l’industrie, de l’agriculture ou du commerce, fruits de l’épargne ou du travail, depuis l’approvisionnement du fermier, du négociant et du fabricant jusqu’aux manteaux, habits, chemises et souliers, jusqu’au lit et à la chambre des particuliers  , rien n’échappe à leurs mains rapaces : dans la campagne, ils enlèvent jusqu’aux grains réservés pour la semence ; à Strasbourg et dans le Haut-Rhin, toutes les batteries de cuisine ; en Auvergne et ailleurs, jusqu’aux marmites des pâtres. Tout objet de valeur, même s’il n’a pas d’emploi public, tombe sous le coup de la réquisition : par exemple, le comité révolutionnaire de Bayonne   s’empare d’une quantité de basins et de mousselines, « sous prétexte d’en faire des culottes pour les défenseurs de la patrie ». – Notez que souvent les objets requis, même quand ils sont utiles, ne sont pas utilisés : entre leur saisie et leur emploi, le gaspillage, le vol, la dépréciation et l’anéantissement interviennent. À Strasbourg  , sur l’invitation menaçante des représentants en mission, les habitants se sont déshabillés et, en quelques jours, ont apporté à la municipalité « 6 879 habits, culottes et vestes, 4 767 paires de bas, 16 921 paires de souliers, 863 paires de bottes, 1 351 manteaux, 20 518 chemises, 4 524 chapeaux, 523 paires de guêtres, 143 sacs de peau, 2 673 draps de lit, 900 couvertures, outre 29 quintaux de charpie, 21 quintaux de vieux linge et un grand nombre d’autres objets ». Mais « la plupart de ces objets sont restés entassés dans les magasins : une partie y a pourri, ou a été mangée par les rats ; on a abandonné le reste au premier venu. Le but de spoliation était rempli ». – Perte sèche pour les particuliers, profit nul ou minime pour l’État, tel est, en fin de compte, le bilan net du gouvernement révolutionnaire. Après avoir mis la main sur les trois cinquièmes des biens fonciers de France, après avoir arraché aux communautés et aux particuliers dix à douze milliards de valeurs mobilières et immobilières, après avoir porté, par les assignats et les mandats territoriaux  , la dette publique, qui n’était pas de 4 milliards en 1789, à plus de 50 milliards, ne pouvant plus payer ses employés, réduit, pour faire subsister ses armées et pour vivre lui-même, aux contributions forcées qu’il lève sur les peuples conquis, il aboutit à la banqueroute, il répudie les deux tiers de sa dette, et son crédit est si bas que ce dernier tiers consolidé, garanti à nouveau par lui, perd le lendemain 83 pour 100 : entre ses mains, l’État a souffert autant que les particuliers.

La répression touche aussi les classes populaires

Sur les listes de guillotinés, de détenus et d’émigrés, les hommes et les femmes de condition inférieure sont en nombre immense, en plus grand nombre que leurs compagnons de la classe supérieure et de la classe moyenne mises ensemble. Sur 12 000 condamnés à mort dont on a relevé la qualité et la profession, on compte 7 545   paysans, laboureurs, garçons de charrue, ouvriers des différents corps d’état, cabaretiers et marchands de vin, soldats et matelots, domestiques, filles et femmes d’artisans, servantes et couturières. Sur 1 900 émigrés du Doubs, plus de 1 100 appartiennent au peuple. Vers le mois d’avril 1794, toutes les prisons de France s’emplissent de cultivateurs   ; dans les seules prisons de Paris, deux mois avant le 9 Thermidor, il y en avait 2 000  . Sans parler des onze départements de l’Ouest, où quatre à cinq cents lieues carrées de territoire ont été dévastées, où vingt villes et dix-huit cents villages ont été détruits  , où le but avoué de la politique jacobine est l’anéantissement systématique et total du pays, bêtes et gens, bâtiments, moissons, cultures et jusqu’aux arbres, il y a des cantons et même des provinces où c’est toute la population rurale et ouvrière que l’on arrête ou qui s’enfuit : dans les Pyrénées, les vieilles peuplades basques, « arrachées à leur sol natal, entassées dans les églises, sans autres subsistances que celles de la charité », au cœur de l’hiver, si bien que 1 600 détenus meurent, « la plupart de froid et de faim   » ; à Bédouin, ville de 2 000 âmes, où des inconnus ont abattu l’arbre de la Liberté, quatre cent trente-trois maisons démolies ou incendiées, seize guillotinés, quarante-sept fusillés, tous les autres habitants expulsés, réduits à vivre « en vagabonds dans la montagne et à s’abriter dans des cavernes qu’ils creusent en terre   » ; en Alsace, 50 000 cultivateurs qui, pendant l’hiver de 1793, se sauvent, avec femmes et enfants, au-delà du Rhin  . – Bref l’opération révolutionnaire est une coupe sombre, conduite à travers le peuple comme à travers les autres classes, à travers le taillis comme à travers la futaie, souvent de manière à faire place nette et à raser jusqu’aux plus bas buissons.

L’élite intellectuelle spécialement visée

Mais, dans cette coupe à blanc étau, les notables du peuple, proportion gardée, ont plus à souffrir que les simples gens du peuple, et, manifestement, le bûcheron jacobin s’acharne, avec insistance et choix, sur les vétérans du travail et de l’épargne, sur les gros fermiers qui, de père en fils et depuis plusieurs générations, tiennent la même ferme, sur les ouvriers-patrons qui ont un atelier bien monté et une bonne clientèle, sur les boutiquiers estimés et achalandés qui n’ont pas de dettes, sur les syndics de village et de métier ; car ils portent tous, plus profondément et plus visiblement que les autres gens de leur classe, les cinq ou six marques qui appellent la hache. – Ils sont plus à leur aise, mieux fournis des choses nécessaires ou commodes, et cela seul est un délit contre l’égalité…

Robespierre,... avec un art atroce, déchirait, calomniait, abreuvait de dégoûts et d’amertumes tous ceux qui s’étaient livrés à de grandes études, tous ceux qui possédaient des connaissances étendues ;... il sentait que jamais les hommes instruits ne fléchiraient le genou devant lui... On a paralysé l’instruction, on a voulu brûler les bibliothèques... Faut-il vous dire qu’à la porte même de vos séances on met partout des fautes d’orthographe ? On n’apprend plus à lire et à écrire. » — A Nantes, Carrier se glorifiait d’avoir « dispersé les chambres littéraires », et, dans son dénombrement des malintentionnés, il ajoute, « aux négociants et aux riches », « les gens d’esprit   ». Parfois, sur les registres d’écrou, on lit qu’un tel est détenu « pour avoir de l’esprit et des moyens de nuire », un tel « pour avoir dit aux municipaux : Bonjour, Messieurs   ». – C’est que la politesse, comme les autres marques d’une bonne éducation, est devenue un stigmate : le savoir-vivre est considéré, non seulement comme un reste de l’ancien régime, mais comme une révolte contre les institutions nouvelles ; on s’insurge contre le régime établi quand on répugne à la camaraderie brutale, aux jurons familiers, aux locutions ordurières de l’ouvrier et du soldat. – Au total, le jacobinisme, par ses doctrines et ses actes, par ses cachots et ses bourreaux, crie à la nation qu’il tient sous sa  férule   : « Sois grossière, pour devenir républicaine ;…

Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_105_ la répression sous la Terreur

La Terreur Jacobine _ les expulsions ; La Terreur Jacobine _ les prisons ; La Terreur_ les exécutions judiciaires

La Terreur Jacobine _ les expulsions

Avant tout, pour le Jacobin, il s’agit d’anéantir ses adversaires constatés ou présumés, probables ou possibles. Quatre opérations violentes concourrent, ensemble ou tour à tour, à la destruction physique ou à la destruction sociale des Français qui ne sont pas ou qui ne sont plus de la secte et du parti.
La première opération consiste à les expulser du territoire. – Dès 1789, par l’émigration forcée, on les a jetés dehors ; livrés, sans défense et sans la permission de se défendre, aux jacqueries de la campagne et aux émeutes de la ville  , les trois quarts n’ont quitté la France que pour échapper aux brutalités populaires, contre lesquelles la loi et l’administration ne les protégeaient plus. À mesure que la loi et l’administration, en devenant plus jacobines, leur sont devenues plus hostiles, ils sont partis par plus grosses troupes. Après le 10 août et le 2 septembre, ils ont dû fuir en masse ; car désormais, si quelqu’un d’entre eux s’obstinait à rester, c’était avec la chance presque certaine d’aller en prison, pour y vivre dans l’attente du massacre ou de la guillotine. Vers le même temps, aux fugitifs la loi a joint les bannis, tous les ecclésiastiques insermentés, une classe entière, près de 40 000 hommes  . On calcule qu’au sortir de la Terreur la liste totale des fugitifs et des bannis contenait plus de 150 000 noms  . Il y en aurait eu davantage, si la frontière n’avait pas été gardée par des patrouilles, si, pour la franchir, il n’avait pas fallu risquer sa vie ; et cependant, pour la franchir, beaucoup risquent leur vie, déguisés, errants, la nuit, en plein hiver, à travers les coups de fusil, décidés à se sauver coûte que coûte, pour aller, en Suisse, en Italie, en Allemagne et jusqu’en Hongrie, chercher la sécurité et le droit de prier Dieu à leur façon  . – Si quelqu’un des exilés ou déportés se hasarde à rentrer, on le traque comme une bête fauve : sitôt pris, sitôt guillotiné

La Terreur Jacobine _ les prisons

La seconde opération consiste à priver les suspects de leur liberté, et dans cette privation il y a plusieurs degrés, car il y a plusieurs moyens de mettre la main sur les personnes. – Tantôt le suspect est « ajourné », c’est-à-dire que l’ordre d’arrestation reste suspendu sur sa tête, qu’il vit sous une menace perpétuelle et ordinairement suivie d’effet, que chaque matin il peut s’attendre à coucher le soir dans une maison d’arrêt. – Tantôt il est consigné dans l’enceinte de sa commune. – Tantôt il est reclus chez lui, avec ou sans gardes, et, dans le premier cas, toujours avec l’obligation de payer ses gardes. – Tantôt enfin, et c’est le cas le plus fréquent, il est enfermé dans une maison d’arrêt ou de détention. – Dans le seul département du Doubs   on compte 1 200 hommes et femmes ajournés, 300 consignés dans leur commune, 1 500 reclus chez eux et 2 200 en prison. Dans Paris, 36 vastes prisons et 96 « violons » ou geôles provisoires, que remplissent incessamment les comités révolutionnaires, ne suffisent pas au service  , et l’on calcule qu’en France, sans compter plus de 40 000 geôles provisoires, 1 200 prisons, pleines et bondées, contiennent chacune plus de 200 reclus  . À Paris  , malgré les vides quotidiens opérés par la guillotine, le chiffre des détenus monte, le 9 floréal an II, à 7 840 ; et, le 25 messidor suivant, malgré les grandes fournées de cinquante et soixante personnes conduites en un seul jour et tous les jours à l’échafaud, le chiffre est encore de 7 502. Il y a 975 détenus dans les prisons de Brest ; il y en a plus de 1 000 dans les prisons d’Arras, plus de 1 500 dans celles de Toulouse, plus de 3 000 dans celles de Strasbourg, plus de 13 000 dans celles de Nantes  . Dans les deux départements de Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, le représentant Maignet, qui est sur place, annonce de 12 000 à 15 000 arresta¬tions  . « Quelque temps avant Thermidor, dit le représentant Beaulieu, le nombre des détenus s’élevait à près de 400 000 ; c’est ce qui résulte des listes et des registres qui étaient alors au Comité de Sûreté générale  . » – Parmi ces malheureux, il y a des enfants, et non pas seulement dans les prisons de Nantes, où les battues révolutionnaires ont ramassé toute la population des campagnes ; dans les prisons d’Arras  , entre vingt cas semblables, je trouve un marchand de charbon et sa femme, avec leurs sept fils et filles âgés de dix-sept à six ans ; une veuve, avec ses quatre enfants âgés de dix-sept à douze ans ; une autre veuve noble, avec ses neuf enfants âgés de dix-sept à trois ans ; six enfants de la même famille, sans père ni mère, âgés de vingt-trois à neuf ans. – Presque partout, ces prisonniers d’État sont traités comme on ne traitait pas les voleurs et les assassins sous l’ancien régime…– « On les tourmente dans toutes leurs affections et, pour ainsi dire, dans tous les points de leur sensibilité. On leur enlève successivement leurs biens, leurs assignats, leurs meubles, leurs aliments, la lumière du jour et celle des lampes, les secours réclamés par leurs besoins et leurs infirmités, la connaissance des événements publics, les communications, soit immédiates, soit même par écrit, avec leurs pères, leurs fils, leurs épouses  . » On les oblige à payer leur logement, leurs gardiens, leur nourriture ; on leur vole à la porte les vivres qu’ils font venir du dehors ; on les fait manger à la gamelle ; on ne leur fournit que des aliments insuffisants et dégoûtants, « morue pourrie, harengs infects, viande en putréfaction, légumes absolument gâtés, le tout accompagné d’une demi-chopine d’eau de la Seine, teinte en rouge au moyen de quelques drogues ». On les affame  , on les rudoie et on les vexe exprès, comme si l’on avait résolu de lasser leur patience et de les pousser à une révolte, dont on a besoin pour les expédier tous en masse, ou, du moins, pour justifier l’accélération croissante de la guillotine. On les accumule par dix, vingt, trente, dans une même pièce, à la Force, « huit dans une chambre de quatorze pieds en carré », où tous les lits se touchent, où plusieurs lits chevauchent les uns sur les autres, où, sur les huit détenus, deux sont obligés de coucher à terre, où la vermine foisonne, où la fermeture des lucarnes, la permanence du baquet et l’encombrement des corps empoisonnent l’air. – En plusieurs endroits, la proportion des malades et des morts est plus grande que dans la cale d’un négrier. « De quatre-vingt-dix individus avec lesquels j’étais reclus, il y a deux mois, écrit   un détenu de Strasbourg, soixante-six ont été conduits à l’hôpital dans l’espace de huit jours. » En deux mois, dans les prisons de Nantes, sur 13 000 prisonniers, il en meurt 3 000 du typhus et de la pourriture  .

La Terreur_ les exécutions judiciaires


Troisième expédient, le meurtre après jugement ou sans jugement. – Cent soixante-dix-huit tribunaux, dont quarante sont ambulants  , prononcent, dans toutes les parties du territoire, des condamnations à mort, qui sont exécutées sur place et à l’instant. Du 16 avril 1793 au 9 Thermidor an II, celui de Paris fait guillotiner 2 625 personnes  , et les juges de province travaillent aussi bien que les juges de Paris. Dans la seule petite ville d’Orange, ils font guillotiner 331 personnes. Dans la seule ville d’Arras, ils font guillotiner 299 hommes et 93 femmes. Dans la seule ville de Nantes, les tribunaux révolutionnaires et les commissions militaires font guillotiner ou fusiller en moyenne 100 personnes par jour, en tout 1971. Dans la seule ville de Lyon, la commission révolutionnaire avoue 1 684 exécutions, et un correspondant de Robespierre, Cadillot, lui en annonce 6 000  . Le relevé de ces meurtres n’est pas complet, mais on en a compté 17 000  , « la plupart accomplis sans formalités, ni preuves », ni délit, entre autres le meurtre « de plus de 1 200 femmes, dont plusieurs octogénaires et infirmes   », notamment le meurtre de 60 femmes condamnées à mort, disent les arrêts, pour avoir « fréquenté » les offices d’un prêtre insermenté, ou pour avoir « négligé » les offices d’un prêtre assermenté. « Des accusés, mis en coupe réglée, furent condamnés à vue. Des centaines de jugements prirent environ une minute par tête. On jugea des enfants de sept ans, de cinq ans, de quatre ans. On condamna le père pour le fils, et le fils pour le père. On condamna à mort un chien. Un perroquet fut produit comme témoin. De nombreux accusés, dont la condamnation ne put être écrite, furent exécutés. » A Angers, la sentence de plus de 400 hommes et de 360 femmes, exécutés pour désencombrer les prisons, fut mentionnée sur les registres par la seule lettre F ou G (fusillé ou guillotiné)  . — A Paris comme en province, le plus léger prétexte   suffisait pour constituer un crime et pour justifier un meurtre. La fille du célèbre peintre Joseph Vernet   fut guillotinée, comme « receleuse », pour avoir gardé chez elle cinquante livres de bougie, distribuées aux employés de la Muette par les liquidateurs de la liste civile. Le jeune de Maillé, âgé de seize ans  , fut guillotiné comme « conspirateur », pour avoir « jeté à la tête de son geôlier un hareng pourri qu’on lui servit ». Mme Puy de Verine fut guillotinée, comme « coupable » de n’avoir pas ôté à son vieux mari aveugle, sourd et en enfance une bourse de jetons à jouer marqués à l’effigie royale. — A défaut de prétexte  , on supposait une conspiration ; on donnait à des émissaires payés des listes en blanc : ils se chargeaient d’aller dans les diverses prisons et d’y choisir le nombre requis de têtes ; ils inscrivaient les noms à leur fantaisie, et cela faisait une fournée pour la guillotine. — « Quant à moi, disait le juré Vilate, je ne suis jamais embarrassé, je suis toujours convaincu. En révolution, tous ceux qui paraissent devant le tribunal doivent être condamnés. » — A Marseille, la commission Brutus, « siégeant sans accusateur public ni jurés, faisait monter de la prison ceux qu’elle voulait envoyer à la mort. Après leur avoir demandé leur nom, leur profession, et quelle devait être leur fortune, on les faisait descendre pour être placés sur une charrette qui se trouvait devant la porte du palais de justice ; les juges paraissaient ensuite sur le balcon, et prononçaient la sentence de mort ». — Même procédé à Cambrai, Arras, Nantes, le Mans, Bordeaux, Nîmes, Lyon, Strasbourg et ailleurs. – Évidemment, le simulacre du jugement n’est qu’une parade ; on l’emploie comme un moyen décent, parmi d’autres moins décents, pour exterminer les gens qui n’ont pas les opinions requises ou qui appartiennent à des classes proscrites   ; Samson à Paris et ses collègues en province, les pelotons d’exécution à Lyon et à Nantes, ne sont que les collaborateurs des égorgeurs proprement dits, et les massacres légaux ont été imaginés pour compléter les massacres purs et simples
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lundi 21 août 2017

Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_104_ la Terreur en province

Les Jacobins en province : leur ferveur jacobine est médiocre ; Installé par la force .Que pouvais-je faire ? » Rien, sinon être aveugle et sourd. L’isolement des Jacobins : leur minorité demeure infime. La province sous tutelle de Paris. Les trois aubaines du Jacobin en mission : le vin et les taxes. Seconde aubaine : rançonner les riches. Troisième aubaine Le vol et le pillage généralisé. Le gouvernement révolutionnaire étant une septembrisade organisée

Les Jacobins en province : leur ferveur jacobine est médiocre

Et d’abord, dans les milliers de communes qui ont moins de 500 habitants  , dans quantité d’autres villages plus peuplés, mais écartés et purement agricoles, surtout dans ceux où l’on ne parle que patois, les sujets manquent pour composer un comité révolutionnaire  . On y est trop occupé de ses mains ; les mains calleuses n’écrivent pas couramment ; personne n’a envie de prendre la plume, surtout pour tenir un registre qui restera et qui peut un jour devenir compromettant. Il n’est pas déjà très facile de recruter sur place la municipalité, de trouver le maire, les deux autres officiers municipaux et l’agent national, requis par la loi ; dans les petites communes, ils sont les seuls agents du gouvernement révolutionnaire, et je crois bien que le plus souvent leur ferveur jacobine est médiocre
Au-dessus des petites communes, dans les gros villages qui ont un comité révolutionnaire et dans certains bourgs, les chevaux attelés font parfois semblant de tirer, mais ne tirent pas, de peur d’écraser quelqu’un. – En ce temps-là, une bourgade, surtout quand elle est isolée, située dans un pays perdu et sans routes, forme un petit monde clos, bien plus fermé qu’aujourd’hui, bien moins accessible au verbiage de Paris et aux impulsions du dehors ; l’opinion locale y est d’un poids prépondérant ; on s’y soutient entre voisins ; on aurait honte de dénoncer un brave homme que l’on connaît depuis vingt ans ; l’ascendant moral des honnêtes gens suffit provisoirement pour contenir « les gueux   ». Si le maire est républicain, c’est surtout en paroles, peut-être pour se couvrir, pour couvrir la commune, et parce qu’il faut hurler avec les loups.

Installé par la force .Que pouvais-je faire ? » Rien, sinon être aveugle et sourd

– Ailleurs, dans d’autres bourgs et dans les petites villes, les exaltés et les gredins n’ont pas été assez nombreux pour occuper tous les emplois, et, afin de remplir les vides, ils ont poussé ou admis dans le personnel nouveau de très mauvais Jacobins, des tièdes, des indifférents, des hommes timides ou besogneux qui acceptent la place comme un refuge ou la demandent comme un gagne-pain. « Citoyens, écrira plus tard une de ces recrues plus ou moins contraintes  , je fus placé dans le comité de surveillance d’Aignay par la force, installé par la force. » Trois ou quatre enragés y dominaient, et si l’on discutait avec eux, « ce n’étaient que menaces... Toujours tremblant, toujours dans les craintes, voilà comment j’ai passé les dix-huit mois que j’ai exercé cette malheureuse place ». – Enfin, dans les villes moyennes ou grandes, la bagarre des destitutions collectives, le pêle-mêle des nominations improvisées et le renouvellement brusque du personnel entier ont précipité, bon gré mal gré, dans les administrations nombre de prétendus Jacobins, qui, au fond du cœur, sont Girondins ou Feuillants, mais qui, ayant trop péroré, se sont désignés aux places par leur bavardage, et désormais siègent à côté des pires Jacobins, dans les pires emplois. « Membres de la commission révolutionnaire de Feurs, ceux qui m’objectent cela, écrit un avocat de Clermont  , se persuadent que les reclus ont été seuls terrifiés ; ils ne savent pas que personne peut-être ne ressentait plus violemment la terreur que ceux que l’on contraignait de se charger de l’exécution des décrets. Qu’on se rappelle que l’édit de Couthon, qui désignait un citoyen pour une place quelconque, portait, en cas de refus, la menace d’être déclaré suspect, menace qui donnait pour perspective la perte de la liberté et le séquestre des biens. Fus-je donc libre de refuser ? » – Une fois installé, l’homme est tenu d’opérer, et beaucoup de ceux qui opèrent laissent percer leurs répugnances : au mieux, on ne peut tirer d’eux qu’un service d’automate. « Avant de me rendre au tribunal, dit un juge de Cambrai  , j’avalais un grand verre de liqueur, pour me donner la force d’y siéger. » De parti pris, il ne sortait plus de chez lui, sauf pour faire sa besogne ; le jugement rendu, il revenait au logis sans s’arrêter, se renfermait, bouchait ses yeux et ses oreilles : « J’avais à prononcer sur la déclaration du jury ; que pouvais-je faire ? » Rien, sinon être aveugle et sourd. « Je buvais ; je tâchais de tout ignorer, jusqu’aux noms des accusés. » – Décidément, dans ce personnel local, il y a trop d’agents faibles, peu zélés, sans entrain, douteux, ou même secrètement hostiles ; il faut les remplacer par d’autres, énergiques et sûrs, et prendre ceux-ci dans le seul réservoir où on les trouve  . En chaque département ou district, ce réservoir est la jacobinière du chef-lieu ; on les enverra de là dans les petits bourgs et communes de la circonscription. En France, le grand réservoir central est la jacobinière de Paris ; on les enverra de là dans les villes des départements….

La province sous tutelle de Paris

En conséquence, des essaims de sauterelles jacobines s’élancent incessamment de Paris sur la province, et de chacun des chefs-lieux locaux sur la campagne environnante. – Dans cette nuée d’insectes destructeurs, il en est de diverses figures et de plusieurs tailles : au premier rang, les représentants en mission qui vont commander dans les départements ; au second rang, « les agents politiques », qui, placés en observation dans le voisinage de la frontière  , se chargent par surcroît, dans la ville où ils résident, de conduire la Société populaire et de faire marcher les administrations. Outre cela, du club qui siège à Paris, rue Saint-Honoré, partent des sans-culottes de choix, qui, autorisés ou délégués par le Comité de Salut public, viennent à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, à Troyes, à Rochefort, à Tonnerre et ailleurs, faire office de missionnaires parmi les indigènes trop mous, ou composer les comités d’action et les tribunaux d’extermination qu’on a peine à recruter sur place
Aussi, quand une ville est mal notée, la Société populaire d’une cité mieux pensante lui envoie ses délégués pour la mettre au pas : par exemple, quatre députés du club de Metz arrivent, sans crier gare, à Belfort, catéchisent leurs pareils, s’adjoignent le comité révolutionnaire du lieu, et tout d’un coup, sans consulter la municipalité ni aucune autre autorité légale, dressent, séance tenante, une liste « de modérés, de fanatiques et d’égoïstes », auxquels ils imposent une taxe extraordinaire de 136 617 livres. Pareillement soixante délégués des clubs de la Côte-d’Or, de la Haute-Marne, des Vosges, de la Moselle, de Saône-et-Loire et du Mont-Terrible, tous « trempés au fer chaud du père Duchesne », viennent, sur l’appel des représentants en mission et sous le nom de « propagandistes », « régénérer la ville de Strasbourg   ».
Dans le reste de la France, la population, moins récalcitrante, n’est pas plus jacobine ; là où le peuple se montre « humble et soumis », comme à Lyon et à Bordeaux, les observateurs déclarent que c’est par terreur pure   ; là où l’opinion semble exaltée, comme à Rochefort et à Grenoble, ils disent que « c’est un feu factice   ». À Rochefort, le zèle n’est entretenu « que par la présence de cinq ou six Jacobins de Paris ». À Grenoble, l’agent politique Chépy, président du club, écrit « qu’il est sur les dents, qu’il s’épuise et se consume pour entretenir l’esprit public et le fixer à la hauteur des circonstances, mais qu’il a conscience que, s’il quittait un seul jour, tout s’écroulerait ». — Rien que des modérés à Brest, à Lille, à Dunkerque ; si tel département, par exemple celui du Nord, s’est empressé d’accepter la constitution montagnarde, il n’y a là qu’un faux semblant « une infiniment petite partie des habitants a répondu pour le tout   ». — A Belfort, « où l’on compte 1 000 à 1 200 pères de famille », seule, écrit l’agent  , « une Société populaire, composée de 30 ou de 40 membres au plus, maintient et commande l’amour de la liberté ». – Dans Arras, « sur trois ou quatre cents membres qui composaient la Société populaire », l’épuration de 1794 n’en épargne que « 63, dont une dizaine d’absents   ». — À Toulouse, « sur 1 400 membres environ » qui formaient le club, il n’en reste, après l’épuration de 1793, que trois ou quatre cents, simples machines pour la plupart, et que « dix à douze intrigants conduisent à leur volonté   ». – De même ailleurs : une ou deux douzaines de Jacobins de bonne trempe, 22 à Troyes, 21 à Grenoble, 10 à Bordeaux, 7 à Poitiers, autant à Dijon  , voilà le personnel actif d’une grande ville ; il tiendrait autour d’une table. – Avec tant d’efforts pour s’étendre, les Jacobins ne parviennent qu’à disséminer leur bande ; avec tant de soin pour se choisir, ils ne parviennent qu’à restreindre leur nombre. Ils restent ce qu’ils ont toujours été, une petite féodalité de brigands superposée à la France conquise  . Si la terreur qu’ils répandent multiplie leurs serfs, l’horreur qu’ils inspirent diminue leurs prosélytes, et leur minorité demeure infime, parce que pour collaborateurs ils ne peuvent avoir que leurs pareils

Les trois aubaines du Jacobin en mission : le vin et les taxes

Rien de tel que l’ivrognerie pour surexciter la férocité. À Strasbourg, les soixante propagandistes à moustaches, logés dans le collège où ils se sont installés à demeure, ont un cuisinier fourni par la ville, et font ripaille, nuit et jour, « avec les comestibles de choix qu’ils mettent en réquisition », « avec les vins fins destinés aux défenseurs de la patrie   ». C’est sans doute au sortir d’une de ces orgies qu’ils viennent, sabre en main, à la Société populaire  , voter et faire voter de force « la mort de tous les détenus enfermés au séminaire, au nombre de plus de sept cents, de tout âge et de tout sexe, sans qu’au préalable ils soient jugés ». Quand un homme veut être bon égorgeur, il doit s’enivrer au préalable   ; ainsi faisaient à Paris les travailleurs de septembre ; le gouvernement révolutionnaire étant une septembrisade organisée, prolongée et permanente, la plupart de ses agents sont obligés de boire beaucoup  .
Par la même raison, ayant l’occasion et la tentation de voler, ils volent. — D’abord, pendant six mois, et jusqu’au décret qui leur assigne une solde, les comités révolutionnaires « se payent de leurs propres mains   » ; ensuite, à leur salaire légal de 3 francs, 5 francs par jour et par membre, ils ajoutent à peu près ce que bon leur semble, car ce sont eux qui perçoivent les taxes extraordinaires, et souvent, comme à Montbrison, « sans rôles ni registres des recouvrements ». Le 16 frimaire an II, le comité des finances annonçait que « le recouvrement et l’emploi des taxes extraordinaires étaient inconnus au gouvernement, qu’il était impossible de les surveiller, que la Trésorerie nationale n’avait reçu aucune somme provenant de ces taxes   ». Deux ans après, quatre ans après  , la comptabilité des taxes révolutionnaires, des emprunts forcés et des dons prétendus volontaires est encore un trou sans fond :

Seconde aubaine : rançonner les riches

Seconde aubaine, aussi grasse. Ayant le droit de disposer arbitrairement des fortunes, des libertés et des vies, ils peuvent en trafiquer, et, pour les vendeurs comme pour les acheteurs, rien de plus avantageux qu’un pareil trafic ; ce serait merveille s’il ne s’établissait pas. Tout homme riche ou aisé, c’est-à-dire tout homme ayant des chances pour être imposé, emprisonné et guillotiné, consent de bon cœur à « composer »  , à se racheter, lui et les siens. S’il est prudent, il paye, avant la taxe, pour n’être point taxé trop haut ; il paye, après la taxe, pour obtenir une diminution ou des délais ; il paye pour être admis ou maintenu dans la Société populaire. Quand le danger se rapproche, il paye pour obtenir ou faire renouveler son certificat de civisme, pour ne pas être déclaré suspect, pour ne pas être dénoncé comme conspirateur. Quand il a été dénoncé, il paye pour être détenu chez lui plutôt que dans la maison d’arrêt, pour être détenu dans la maison d’arrêt plutôt que dans la prison commune, pour ne pas être traité trop durement dans la prison commune, pour avoir le temps de rassembler ses pièces justificatives, pour faire mettre et maintenir son dossier au-dessous de tous les autres dans les cartons du greffe, pour ne pas être inscrit dans la prochaine fournée du tribunal révolutionnaire. Il n’y a pas une de ces faveurs qui ne soit précieuse : partant, des rançons innombrables sont incessamment offertes, et les fripons, qui pullulent dans les comités révolutionnaires  , n’ont qu’à ouvrir leurs mains pour remplir leurs poches.

Troisième aubaine Le vol et le pillage généralisé


Troisième aubaine, non moins large, mais plus étalée au soleil, et partant plus alléchante encore. — Une fois le suspect incarcéré, tout ce qu’il apporte en prison avec lui, tout ce qu’il laisse au logis derrière lui, devient une proie ; car, avec l’insuffisance, la précipitation et l’irrégularité des écritures  , avec le manque de surveillance et les connivences que l’on sait, les vautours grands ou petits peuvent librement jouer du bec et des serres. – À Toulouse, à Paris et ailleurs, des commissaires viennent enlever aux prisonniers tout objet de prix ; par suite, en nombre de cas, l’or, l’argent, les assignats et les bijoux, confisqués,pour le Trésor, s’arrêtent au passage dans les mains qui les ont saisis  . – A Poitiers, les sept coquins qui composent l’oligarchie régnante, reconnaîtront eux-mêmes, après Thermidor, qu’ils ont volé les effets des détenus  . – A Orange, « la citoyenne Viot, épouse de l’accusateur public, les citoyennes Fernex et Ragot, épouses des deux juges », viennent elles-mêmes au greffe faire leur choix dans la dépouille des accusés, et prendre pour leur garde-robe les boucles d’argent, le linge fin et les dentelles  . – Mais ce que les accusés détenus ou fugitifs peuvent avoir emporté avec eux est peu de chose en comparaison de ce qu’ils laissent à domicile, c’est-à-dire sous le séquestre. Tous les bâtiments ecclésiastiques et seigneuriaux, châteaux et hôtels de France y sont, avec leur mobilier, et aussi la plupart des belles maisons bourgeoises, quantité d’autres logis moindres, mais bien meublés et abondamment garnis par l’épargne provinciale ; outre cela, presque tous les entrepôts et magasins des grands industriels et des gros commerçants : cela fait un butin colossal et tel qu’on n’en a jamais vu, tous les objets agréables à posséder amoncelés en tas, et ces tas disséminés par centaines de mille sur les vingt-six mille lieues carrées du territoire. Point de propriétaire, sauf la nation, personnage indéterminé, qu’on ne voit pas ; entre le butin sans maître et ses conquérants il n’y a d’autre barrière que les scellés, c’est-à-dire un méchant morceau de papier, maintenu par deux cachets mal appliqués et vagues. Notez aussi que les gardes du butin sont justement les sans-culottes qui l’ont conquis, qu’ils sont pauvres, que cette profusion d’objets utiles ou précieux leur fait mieux sentir le dénuement de leur intérieur, que leur femme a bien envie de monter son ménage. D’ailleurs, et dès les premiers jours de la Révolution, ne leur a-t-on point promis que « 40 000 hôtels, palais et châteaux, les deux tiers des biens de la France, seraient le prix de la valeur   » ? En ce moment même, est-ce que le représentant en mission n’autorise pas leurs convoitises ? Ne voit-on pas Albitte et Collot d’Herbois à Lyon, Fouché à Nevers, Javogues à Montbrison, proclamer que les biens des contre-révolutionnaires et le superflu des riches sont « le patrimoine des sans-culottes   » ?


Taine _ La Révolution- Le Gouvernement révolutionnaire_103_ le club des Jacobins sous la Terreur

La médiocrité des leaders jacobins : Buchot, Henrion, Une séance chez les Jacobins : obtenir un certificat de civisme ;  Chalendon, l’exterminateur du Marais

La médiocrité des leaders jacobins : Buchot, Henrion

Regardons de près quelques figures ; plus elles sont en vue et à la première place, plus la grandeur de l’office met en lumière l’indignité du potentat. – Il en est un que l’on a déjà vu en passant, Buchot, noté deux fois par Robespierre, et de la propre main de Robespierre, comme « un homme probe, énergique et capable des fonctions les plus importantes   ». Nommé par le Comité de Salut public « commissaire aux relations extérieures », c’est-à-dire ministre des affaires étrangères, il s’est maintenu dans ce haut p.178 poste pendant près de six mois. C’est un maître d’école du Jura  , récemment débarqué de sa petite ville, et dont « l’ignorance, les manières ignobles et la stupidité surpassent tout ce qu’on peut imaginer. Les chefs de division ont renoncé à travailler avec lui ; il ne les voit ni ne les demande. On ne le trouve jamais dans son cabinet, et, quand il est indispensable de lui demander sa signature pour quelque légalisation, seul acte auquel il ait réduit ses fonctions, il faut aller la lui arracher au café Hardy, où il passe habituellement ses journées ». Bien entendu, il est envieux et haineux, il se venge de son incapacité sur ceux dont la compétence lui fait sentir son ineptie, il les dénonce comme modérés, il parvient enfin à faire décerner un mandat d’arrêt contre ses quatre chefs de services, et, le matin du 9 Thermidor, avec un sourire atroce, il annonce à l’un d’eux, M. Miot, la bonne nouvelle.
– Par malheur, après Thermidor, voilà Buchot destitué et M. Miot mis à sa place… Buchot, songe tout de suite au solide, et d’abord il demande à garder provisoirement son appartement au ministère. La chose accordée, il remercie, dit à M. Miot qu’on a bien fait de le nommer. « Mais moi, c’est très désagréable ; on m’a fait venir à Paris, on m’a fait quitter mon état en province, et maintenant on me laisse sur le pavé. » Là-dessus, avec une impudence admirable, il demande à l’homme qu’il a voulu guillotiner une place de commis au ministère. M. Miot essaye de lui faire entendre qu’il serait peu convenable à un ancien ministre de descendre ainsi. Buchot trouve cette délicatesse étrange et, voyant l’embarras de M. Miot, finit par lui dire : « Si vous ne me trouvez pas capable de remplir une place de commis, je me contenterai de celle de garçon de bureau. » – Il s’est jugé lui-même, à sa valeur.

L’autre, que nous avons aussi rencontré et que l’on connaît déjà par ses actes, général à Paris de toute la force armée, commandant en chef de 110 000 hommes, est cet ancien domestique ou petit clerc chez le procureur Formey, qui, chassé par son patron pour vol, enfermé à Bicêtre, tour à tour mouchard, matamore de spectacle forain, commis aux barrières et massacreur de Septembre, a purgé la Convention, le 2 juin ; bref, le fameux Henriot, aujourd’hui simple soudard et soulard. En cette dernière qualité, malgré ses connivences avec Hébert et les Cordeliers, on l’a épargné dans le procès des exagérés. On l’a gardé comme instrument, sans doute parce qu’il est borné, brutal et maniable, plus compromis que personne, bon à p.179 tout faire, hors d’état de se rendre indépendant, sans services dans l’armée  , sans prestige sur les vrais soldats, général intrus, de parade et de rue, plus populacier que la populace. Avec son hôtel, sa loge à l’Opéra-Comique, ses chevaux, son importance dans les fêtes et revues, surtout avec des orgies, il est content. — Le soir, en grand uniforme, escorté de ses aides de camp, il galope jusqu’à Choisy-sur-Seine, et là, dans la maison d’un complaisant, nommé Fauvel, avec des affidés de Robespierre ou des démagogues du lieu, il fait ripaille : on sable les vins du duc de Coigny, on casse les verres, les assiettes et les bouteilles, on va faire tapage dans les bastringues voisins, on y enfonce les portes, on brise les bancs et les chaises, bref on s’amuse. — Le lendemain, ayant cuvé son vin, il dicte ses ordres du jour, vrais chefs-d’œuvre, où la niaiserie de l’imbécile, la crédulité du badaud, la sentimentalité de l’ivrogne, le boniment du saltimbanque et les tirades apprises du philosophe à cinquante francs par jour, se fondent ensemble en une mixture unique, à la fois écœurante et brûlante…

Une séance chez les Jacobins : obtenir un certificat de civisme

Il est curieux de les voir en séance. Vers la fin de septembre 1793  , un des vétérans de la philosophie libérale, de l’économie politique et de l’Académie française, le vieil abbé Morellet, ruiné par la Révolution, a besoin d’un certificat de civisme pour toucher la petite pension de 1 000 francs que l’Assemblée Constituante lui a votée en récompense de ses écrits, et la Commune, qui veut se renseigner, lui choisit trois examinateurs.
Naturellement, il fait auprès d’eux toutes les démarches préalables. D’abord, il écrit « un billet bien humble, bien civique », au président du Conseil général, Lubin fils, ancien rapin qui, ayant quitté les arts pour la politique, vit chez son père, boucher, rue Saint-Honoré. Morellet traverse l’étal, marche dans les flaques de la tuerie, et admis après quelque attente, trouve son juge au lit et plaide sa cause. Puis il visite Bernard, ex-prêtre, « fait comme un brûleur de maisons, d’une figure ignoble », et salue respectueusement la dame du logis, « une petite femme assez jeune, mais bien laide et bien malpropre ». Enfin il porte ses dix ou douze volumes au plus important des trois commissaires, Vialard, « ex-coiffeur de dames » ; celui-ci est presque un collègue : « car, dit-il, j’ai toujours aimé les mécaniques, et j’ai présenté à l’Académie des Sciences un toupet de mon invention ». Mais le pétitionnaire ne s’est point montré dans la rue au 10 août, ni au 2 septembre, ni au 31 mai ; comment, après ces marques de tiédeur, lui accorder un certificat de civisme ? Morellet ne se rebute point, attend le tout-puissant coiffeur à l’Hôtel de Ville et l’aborde plusieurs fois au passage. L’autre, « avec plus de morgue et de distraction que le ministre de la guerre le plus inabordable n’en montra jamais au plus petit lieutenant d’infanterie », écoutant à peine et marchant toujours, va s’asseoir, et Morellet, dix ou douze fois, bien malgré lui, assiste aux séances.

 – Étranges séances où des députations, des volontaires, des amateurs patriotes viennent tour à tour déclamer et chanter, où tout le Conseil général chante, où le président Lubin, « orné de son écharpe », entonne lui-même, par cinq ou six fois, la Marseillaise, le Ça ira, des chansons à plusieurs couplets sur des airs de l’Opéra-Comique, et toujours « hors de mesure, avec une voix, des agréments et des manières de beau Léandre. Je crois bien que, dans la dernière séance, il chanta ainsi en solo à peu près trois quarts d’heure, en différentes fois, l’assemblée répétant le dernier vers du couplet ». – « Mais c’est drôle, disait à côté de Morellet une femme du peuple ; c’est drôle de passer comme ça tout le temps de leur assemblée à chanter. Est-ce qu’ils sont là pour ça ? » Non pas seulement pour cela : après la parade de foire, les harangueurs ordinaires, et surtout le coiffeur de dames, « viennent, d’une voix forcenée, avec des gestes furibonds », lancer des motions meurtrières. Voilà les beaux parleurs   et les hommes de décor. – Les autres, qui ne parlent pas et savent à peine écrire, agissent et empoignent. Tel est un certain Chalandon, membre de la Commune   président du comité révolutionnaire de la section de l’Homme Arme, et probablement très bon chasseur d’hommes ; car « les comités du gouvernement lui ont accordé droit de surveillance sur toute la rive droite de la Seine, et, muni de pouvoirs extraordinaires, il règne, du fond de son échoppe, sur la moitié de Paris. Malheur aux gens dont il a eu à se plaindre, à ceux qui lui ont retiré ou ne lui ont pas donné leur pratique ! Souverain de son quartier jusqu’au 10 thermidor, ses dénonciations sont des arrêts de mort » ; il y a des rues, notamment celle du Grand-Chantier, qu’il « dépeuple ». Et cet exterminateur du Marais est un « savetier », collègue en cuirs et à la Commune de Simon, le précepteur et le meurtrier du petit Dauphin.