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mercredi 25 mai 2016

Reform of french labour code: El Khomri project : no amendment, no negotiation, withdrawal !


The hierarchy of norms

Foreigners may again ironize about french propensity for social conflicts and strikes. An explanation:

There are a multitude of reason (almost as much as articles, would be better to delete the whole project) to oppose the project Valls /El Khomri of reforming the french labour code. One of the most egregious, but seems to me one of the least discussed is the reversal of the hierarchy of norms: previously, collective (industrial branch) agreements had priorities on enterprise agreements and an enterprise  agreement could only offer more favourable conditions than those in the collective agreement; tomorrow if the El Khomri project goes through, a company agreement may impose less favourable conditions in terms of hours, wages or working conditions, if they are accepted by referendum.

It's pretty hopeless, but this primacy of the collective (industrial branch) agreements on individual agreements was a century-old Union fight, for a very simple reason: if it is possible to waive collective agreements, then that is an insane competition at the expense of employees that takes place; the company that has the  greatest difficulty in a sector, maybe because it is the most mismanaged, will impose on employees  reductions in wages or increase in working time quite easily by a blackmail to employment, and gradually the industry will be forced to align them. This is alignment on the less productive and less socially advanced enterprise of a branch ; a social and economical stupidity.

It is obvious how  this reversal of standards is dangerous, and especially in times of economic crisis and high unemployment. Extremely dangerous for employees, it is also bad for the overall economy, by creating a descending spiral. The idea of a referendum by enterprise is also a  liberal absurdity: by the very nature of a working contract, the employee is not free, but subrogated to its employer.

The circle of proletarian positivists : defending collective branch agreements

 Back to my favourite doctrine, Positivism. It is generally ignored but positivism has generated in France an active  labor movement, at the beginning of the 20th century, with figures like Auguste Keufer, (1851-1924), founder of the CGT of typograph  and first Treasurer of CGT Confédération Générale du Travail- the still leading french union)). Here is the position of the circle of proletarian positivists, of which he was the main animator when, between 1906 and 1908, was discussed the creation of the labour code and the ability to sign collective agreements of enterprises (now branch agreements): " the draft law on the employment contract filed July 2, 1906, on the bureau of the Chamber of Deputies is one of the most". important of this Parliament. It calls on the legislature to secure legally the definition, validity, effects and the legal evidence, formation and rupture of the individual contract between the employer and the employee, these last two terms embracing the first, all the patrons, and the second, all the employees. The project concerns workshop regulations, fines, notice period and finally the strike and lock out. It also proposes to give legal value to collective work  agreements to which moves modern industry willingly, under the pressure of unionized workers...
 
Examining the collective contract, or more accurately, the collective agreement on working conditions, the circle of proletarians positivists highlights its three main advantages for the good order of the economic society:

The collective agreement is the only mean to achieve a certain balance between the employer who provides work, and the employee who must work to ensure its existence and that of his family. It can widely moralize competition between employers ; this competition can no longer be exercised with so much intensity on wages and working conditions and thus, the best boss no longer has to suffer from the worst. The collective agreement finally, is especially effective in maintaining or restoring good relationship between employees and bosses.

 El Khomri bill : disorder and regression

Positivism is convinced that it is possible to determine laws of the social body, as there are physical and biological laws. Its best known slogan is "order and progress". A positivist should easily be able to recognize a measure that promotes the progress and social order from  its reverse. All positivist  knowledge leads to this: this El Khomri  bill  is not order and progress, but disorder and regression. In the interest of all, and also in respect for the memory of all those workers who, positivists or not, have struggled for the establishment of the labour law, this project must be fought by all unions and the only issue is :  withdrawal !
 

samedi 21 mai 2016

Loi El Khomri : Violence de la méthode gouvernementale

Changer de méthode ou changer de gouvernement

Commençons par là : les violences contre les policiers, qui les visent systématiquement, physiquement, dans le but  de blesser, voire de tuer et de créer les plus grands désordres sont insupportables et doivent être réprimées sans faiblesses ; inexcusables également, ces violences qui dévastent des centre villes, détruisent les biens de la communauté ou de particuliers. Le sang-froid, le professionnalisme, le dévouement de la police doivent être saluées, d’autant que les rares manquements sont recherchés et éventuellement sanctionnés ; le travail  des services d’ordre syndicaux doit être également salué, eux qui sont de plus en plus pris pour cibles par des minorités violentes et inexcusables.
Mais s’il est de la responsabilité politique de lutter contre la violence, en réprimant lorsqu’il faut en venir là,   il est encore davantage de sa responsabilité de ne pas créer volontairement cet engrenage de la violence. La gouvernance de Manuel Valls est ici clairement en cause, qui mélange autorité de l’Etat et violence politique.
Exemples : les manifestations contre le mariage pour tous. Quoi que l’on en pense sur le fond, un referendum aurait sans doute été le bienvenu pour trancher la question et apaiser les tensions – elle méritait incontestablement un débat,  débat qui n’a pas eu lieu. On a dit aux opposants : vous pouvez  dire ce que vous voulez, avancez tous les arguments, de toute façon, la loi sera votée parce que sommes majoritaires au Parlement. Et cette attitude arrogante et violente était voulue, il s’agissait de montrer, sur une réforme sociétale assez largement acceptée et qui n’aurait pas dû poser grands problèmes,  que cette majorité  était vraiment de gauche ??? !!! et que son chef avait des couilles, non d’un hidalgo !
Même cas de figure pour la loi El Khomri. Pour un projet aussi complexe, pour ne pas dire aussi mal fichu, une consultation approfondie des partenaires sociaux aurait été bien utile. Non, il fallait passer vote, en force ! Pas de débats dans la société, et, face à un parlement qui voulait faire son travail, pas de même de débats à l’Assemblée. Aux opposants, on dit : vous pouvez toujours débattre tant que vous voulez, le projet passera parce que nous sommes (de moins en moins !) majoritaires à l’Assemblée. Le gouvernement a évidemment joué le pourrissement des manifestations, et ce qui se passe est la récolte de ce qu’il a volontairement et indignement semé.
Brutalité, et imbécillité aussi, dans un autre domaine, lorsque le gouvernement a décidé, sans concertation, sans  consulter les socialistes locaux, d’imposer le retrait des listes socialistes dans les régions où le Front National était en tête. Brillante idée, qui fait que la gauche est totalement absente de deux régions françaises, PACA et Nord, regroupant plus de onze millions d’habitants, et le PS en capilotade dans deux régions où il fut naguère dominant (en abusant parfois, par trop de népotisme et de clientélisme), alors que Jean-Pierre Masseret, courageux et intelligent dans sa dissidence lorraine, menacé de poursuites par les apparatchiks du PS, démontrait que le pseudo danger FN était surestimé et sauvait les meubles. Et quand bien même, le FN aurait conquis une région, c’était le respect de la démocratie, et sans doute Marine Le Pen serait-elle aujourd’hui moins flamboyante ! Tandis que cette alliance des appareils politiques de gauche et de droite est le contraire de la démocratie et fait finalement le jeu du FN, trop heureux de dénoncer l’ex UMPS.
Oui vraiment, il faut changer de méthode ou il faut changer de gouvernement, et probablement les deux, sous peine de disparition totale d Parti Socialiste lors des prochaines échéances électorales.

Loi El Khomri ! Ni amendable, ni négociable, retrait !

Et revenons à la loi El Khomri ! J’ai déjà expliqué à quel point l’inversion de la hiérarchie des normes (accords d’entreprises primant sur les conventions collectives) constituait un recul social inouï et même une absurdité économique. Autre exemple : La Sécurité Sociale (l’Urssaf) poursuit Uber pour récupérer des cotisations sociales, considérant que les chauffeurs sont des travailleurs faussement indépendant, mais de vrais salariés (pour mention, une action assez similaire a été menée dans ce pays éminemment socialiste qu’est la Californie !). Or, un article 27 bis a été ajouté à la loi El Khomri sur les travailleurs utilisant une plate-forme numérique et qui précise que le code du travail ne leur est pas applicable- donc pas de cotisations sociales à verser pour l’employeur ! Et le gouvernement a le culot de faire valoir que la loi autorisera les chauffeurs d’Uber  constituer des syndicats ! Quelle réforme de gauche, autoriser des syndicats ! Sauf que certains chauffeurs n’en n’ont pas attendu l’autorisation et se sont déjà syndiqués. Ce gouvernement est violent, ce gouvernement se moque de nous, ce gouvernement se moque violemment de nous.
Autre absurdité, dans un sens inattendu : en 2014, la loi a imposé une durée minimale des contrats à temps partiel de 24 heures hebdomadaires-alors que dans le commerce de détail (les boutiques) des contrats à temps partiels plus faibles fonctionnaient parfaitement à la satisfaction des employeurs et des employés_ et cette nouvelle régulation a entrainé de nombreux licenciements dans cette branche !

Ni amendable, ni négociable, la loi El Khomri doit être retirée et remise à plat par les partenaires sociaux. Le gouvernement réussira peut-être dans sa stratégie du pourrissement des manifestations au risque certain d’une violence accrue. Mais la rage et le désespoir entraineront des conflits durs, paralysants et dommageables à l’économie dans les quelques bastions syndicaux qui restent. Le gouvernement aurait tort de penser qu’il gagnera facilement cette manche là. Et de toute façon, il le paierait ar une disparition du PS lors des prochaines élections. 

Simondon m’était conté !

Gilbert Simondon (1924-1989) fait l’objet d’une redécouverte méritée à travers la réédition de son œuvre, diverses émissions (dont une semaine des Nouveaux chemins de la connaissance), articles divers. De fait ce normalien agrégé de philosophie qui enseigna au lycée Descartes de Tours la philosophie et parfois…la physique, écrivit une thèse dirigée par Canguilhem, L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, dont la partie complémentaire (Du mode d'existence des objets techniques) est la plus connue et la plus décoiffante est l’auteur d’une œuvre encyclopédique qui a bien l’ambition de faire système et de définir un nouvel humanisme qui englobe la technique.

Quelques idées issues principalement Du mode d’existence des objets techniques :

Simondon parle d’objets techniques, et c’est une manière de souligner qu’ils devraient avoir le même statut, la même dignité et susciter le même intérêt des penseurs  que les objets religieux et esthétiques. Il y a là une injustice rave et une lacune dans la culture. Il s’oppose à Heidegger et aux technophobes, et insiste sur le fait qu’il faut penser la technique à partir des objets, et non à partir de la philosophie. Face à Jacques Ellul et aux épigones attardés d’Heidegger, il proteste contre une véritable xénophobie de la technique, d’un misonéisme contre les machines. La technique fait la jonction entre le vital et les institutions de la culture, elle organisatrice des rapports entre le monde et l’homme. La technique serait responsable d’un monde sans âme, responsable des désastres et du désagrément de vivre ? Non, dit Simondon, on peut avoir une relation à la technique qui ne soit pas aliénante. La technique peut être source de mal, de domination, de puissance mais penser la technique comme source du mal, c’est refuser de penser. L’objet technique est humain parce qu’inventé (et la théorie de l’invention occupe une grande part de l’œuvre de Simondon) ; il est porteur d’une très grande valeur de par la quantité d’efforts humain qu’il a fallu pour le concevoir. L’opposition entre la culture et le technique, entre l’homme et la machine est sans fondement, elle masque derrière un facile humanisme un mépris de l’homme lui-même. Les objets techniques sont des médiateurs privilégiés entre la nature et l’homme. Ne pas reconnaitre la part d’humanité dans la machine est une forme d’aliénation et au contraire, une pensée authentique de la machine possède une fonction libératrice.
Contre Heidegger : Si la technique est mal pensée, l’homme est mal pensé. Et Simondon se donne pour but d’éveiller les contemporains à la civilisation technique. Et ceci également : la vraie pensée libératrice et opérationnelle, la pensée de la technique et de la science est la pensée réflexive, qui s’oppose aux fins déterminées phénoménologiques  et qui ne défend aucun intérêt spirituel – alors que toutes les philosophies littéraires sont orientées par une prétention religieuse
Sur la machine, et contre les tenants de la cybernétique,  il affirme aussi que la machine la plus perfectionnée n’est pas la plus autonome, mais la plus ouverte possible, la plus capable d’interactions. Ainsi se crée une civilisation où l’homme, loin d’être l’esclave d’une société des machines, est l’organisateur permanent d’une société des objets techniques, un chef d’orchestre.
Simondon affirme encore  que la beauté technique renvoie à une certaine universalité, la manière dont l’objet s’insère dans son milieu. Et son respect de l’objet technique l’amène à protester violemment contre l’obsolescence programmée des objets, qui serait un crime.
L’œuvre de Simondon fait également l’objet d’un article de Vincent Bontems dans la revue Alliage, n076, hiver 2015.

Du zen et de l’entretien des motocyclettes

Il se trouve qu’en même temps que ce Simondon revival, ; je lisais le chef d(‘œuvre de Pirsig, Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes, dont il me semble qu’entre en résonnance avec cette œuvre. Extraits :
 « Je distingue deux  types d’intelligence humaine, l’intelligence classique et l’intelligence romantique… les termes classiques et romantiques, tels que Phèdre les employait, ont un sens bien défini Une intelligence classique voit d’abord dans le monde les structures internes ; l’intelligence romantique y voit d’abord l’apparence immédiate.  Montrez un moteur ou un schéma électronique à un romantique, il ne marquera guère d’intérêt. Il ne voit que la réalité superficielle : des listes complexes et ennuyeuses de termes obscurs. Mais lé schéma fascinera un esprit classique qui percevra sous les lignes, les formes et les symboles, une richesse étonnante de structures internes.
Le style romantique est inspiration, imagination, intuition, les sentiments l’importent sur les faits. Le romantique joue l’art contre la science. Il ne se laisse pas guider par la raison ou par des lois. ;, mais par le sentiment, l’intuition, la sensibilité esthétique… Par contraste, l’esprit classique accepte d’être régi par la raison et par des lois, qui représentent elles-mêmes les structures de la pensée et du comportement…
Quoique l’esprit classique entraine souvent une certaine laideur artificielle, cette laideur ne lui est pas inhérente. Il y a une esthétique classique qui échappe souvent aux romantiques à cause de sa subtilité. Le style classique est direct, sans fioritures, sans émotion inutile et soigneusement proportionné. Il ne s’adresse pas au sentiment. Il a pour but de faire naitre l’ordre à partir du chaos et de rendre l’inconnu connaissable. Il n’a rien de naturel, ni de spontané. Il est fait de retenue et de contrôle. Sa valeur se mesure à la rigueur avec laquelle ce contrôle est maintenu.
Pour un romantique, le style classique parait morne, lourd et laid comme la mécanique elle-même. Tout se pose en termes de  pièces et de composants, de relations entre éléments et de programmes d’ordinateurs. Tout doit être mesuré et prouvé. C’est une grisaille lourde, écrasante, une force de mort…
Ainsi a pu se développer ces derniers temps une rupture totale entre une culture classique et une contre-culture romantique – deux mondes de plus en plus étrangers et hostiles – alors que personne ne souhaite vraiment pareille division…. »

« J’ai gardé chez moi une brochure qui ouvre de vastes perspectives dans l’amélioration de la littérature classique. Elle commence par ces mots : l’assemblement d’une bicyclette japonaise requiert une grande paix de l’esprit »…La paix de l’esprit n’est pas un détail superflu. C’est le fond de la question. Sans la paix de l’esprit, il n’est pas de bonnes techniques. Sans une bonne technique, pas de paix de l’esprit. Ce qu’on appelle l’efficacité d’une machine, ce n’est rien d’autre que la concrétisation de cette paix de l’esprit. Le critère ultime de son fonctionnement, c’est votre propre sérénité. Si, au départ, vous ne vous sentez pas sereins, et si vous ne le restez pas au cours de votre travail, vous risquez de projeter vos problèmes personnels sur la machine elle-même. »


dimanche 8 mai 2016

Loi El Khomry : Ni amendable, ni négociable, retrait ! (2)

L’inversion de la hiérarchie des normes :  ! Toujours inacceptable

J’ai expliqué dans un précédent blog pourquoi même ce qui reste de la loi Khomry sur le code du travail est au plus haut point inacceptable, et notamment sa disposition la plus centrale : l’inversion de la hiérarchie des normes. Auparavant, les accords  collectifs prévalaient sur les accords d’entreprise et un accord d’entreprise ne pouvait offrir que des conditions plus favorables que celles de l’accord collectif ; demain si ce projet passe, par un référendum d’entreprise, un accord d’entreprise pourra imposer, en termes de salaires d’horaires ou conditions de travail, des conditions moins favorables si elles sont acceptées par in référendum d’entreprise. A signaler que des referendums pouvaient déjà revenir sur des dispositions en vigueur plus favorables que la convention collective.
C’est une rétrogradation sociale sans équivalent et scandaleuse, qui revient sur plus de cent ans de lutte syndicale. C’est aussi une absurdité économique qui récompense les plus mauvais patrons, en mettant en place une compétition insane au détriment des salariés qui se met en place ; l’entreprise la plus en difficulté d’un secteur, sans doute parce que la plus mal gérée, imposera à ses salariés des baisses de salaires ou augmentation de temps de travail assez facilement par un chantage à l’emploi,  et progressivement les entreprises du secteur seront contraintes à s’aligner sur elles.

Un amateurisme ou un cynisme scandaleux

Incompréhensible, amateurisme ou cynisme ? Toujours est-il que le débat parlementaire et la pression sur les députés socialistes pour la voter et les pseudo arguments échangés ne peuvent qu’écœurer. Ainsi, le Canard Enchainé révèle que l’argumentaire distribué aux députés socialistes affirme fièrement qu’il ne sera plus possible de payer les heures supplémentaires moins de dix pour cent en plus des heures normales…ce qui était précisément le cas avant la loi El Khomry, ; il est vrai que la première version avait fait sauter cette disposition pourtant minimaliste !
A verser au débat cette déclaration dans Marianne  (5 mai 2016) : « Vous avez fait du code du travail le bouc émissaire de votre incapacité à créer de l’emploi et fait de son démantèlement l’objet même de votre politique ».  Auteur ? François Hollande  critiquant la politique de Sarkozy !

Non seulement la loi El Khomry, est néfaste socialement et économiquement, mais elle est en plus un sommet de cynisme. Il parait assez évident que le seul moyen pour le Parti socialiste de ne pas disparaitre pour une dizaine d’année, voire définitivement, et, pour François Hollande d’être éventuellement réélu, c’est le retrait de la loi El Khomry.


Essais thérapeutiques : l' accident de Rennes. Bilan

Le 17 janvier, pour la première fois en Europe, un homme, Guillaume Molinet, trouvait la mort lors d'un essai clinique et cinq autres étaient hospitalisés avec des troubles neurologiques lors d’un essai clinique mené par la société Biotrial pour le laboratoire Bial. Le moins qu’on puisse faire est d’abord de rendre hommage à tous ceux sans qui aucun nouveau médicament ne verrait le jour, les volontaires sains qui acceptent, pour une indemnisation faible, de se prêter aux études de phase I (volontaire sain). Cela oblige également à essayer de comprendre ce qui s’est passé, et ce qui peut être fait à l’avenir pour l’éviter.
De l’étude menée par l’Agence du médicament (ANSM), il apparait qu’il n’y a eu aucun manquement aux règles en vigueur, et que la toxicité révélée est d’un type nouveau, complètement inattendu. Même si ce type d’accident est devenu extrêmement rare, il faut mieux prendre en compte l’inattendu et le fait qu’un médicament n’est jamais anodin ; des préconisations de bon sens concernant la dose maximale à administrer, l’escalade des doses , la sélection des volontaire et la transparence des essais de phases I, plus restrictives que celles en vigueur, devront être menées.

La molécule et les études précliniques

La molécule BIA 102474 des Laboratoires Bial (Portela & Ca, Portugal) appartient à la famille des inhibiteurs de la FAAH, enzyme dégradant l’anandamide, qui est une forme de cannabis naturel secrété par l’organisme. La recherche dans le domaine des inhibiteurs de la FAAH a été portée par des espoirs importants et des perspectives d’indications thérapeutiques très diverses : douleur, vomissements, anxiété, troubles de l’humeur, maladie de Parkinson, chorée de Huntington, diverses indications cardiovasculaires… Plus d’une dizaine d’inhibiteurs de ce type sont, ou ont déjà été, étudiés en clinique par SanofiAventis, Astellas, BristolMyers Squibb, Janssen & Janssen, Vernalis, Pfizer, etc. aucun n’ayant, à ce jour, été commercialisé, en raison d’une efficacité jugée décevante ; mais aucun problème de toxicité n’a été rapporté.
La structure chimique de cette molécule n’évoque a priori rien de particulier. Son originalité est relative ; elle peut être considérée comme une « variation » autour de molécules antérieurement développées comme inhibiteurs de la FAAH. Par rapport aux molécules antérieures, le BIA 102474 a une activité relativement faible (240 fois moins que la molécule concurrente de Pfizer) et est moins spécifique. Néanmoins, elle semble avoir un mécanisme d’action assez original, avec une pente dose-effet très pentue (tout ou rien) et surtout une inhibition très prolongée, mais non irréversible, encore complète au bout de 8 heures chez l’homme et persistant au-delà de vingt-quatre heures, alors que la molécule a disparu du plasma). Elle pouvait donc présenter un certain intérêt, d’autant qu’elle s’est révélé plus active chez l’homme que chez l’animal ; chez le singe, l’effet maximal est atteint pour 0.5mg/kg et le système cannabinoïde est saturé au-delà de 1mg/kg. Les doses extrapolées chez l’homme se situaient entre 10 et 40 mg ; or l‘effet maximal était atteint dès 5 mg.
Commentaire : Cependant, la structure de la molécule comportait une imidazole urée, structure instable et considérée comme problématique dans de nombreux services de chimie thérapeutique, et que de nombreux laboratoires n'auraient pas développés Son développement nécessitait une étude préclinique impeccable (voir ci-après) et certainement de très grands précautions dans l’étude clinique.
Biotrial prévoyait de développer la molécule en analgésie et le dossier préclinique montrait bien une très forte activité analgésique en association avec des dérivés cannabinoïdes, comme attendu. Les études toxicologiques précliniques ont concerné, quatre espèces différentes (rat, souris, chien et singe), ce qui est très peu fréquent (surtout pour une molécule non particulièrement innovante) et ont été menées dans deux centres de bonne réputation ; ce n’est pas qu’une toxicité particulière était attendue, mais le laboratoire Biotrial ayant pris du retard dans les essais cliniques a avancé certaines phases de toxicologie préclinique. Chez le rat et la souris, des atteintes cérébrales, notamment au niveau des hippocampes avec une gliose et une infiltration par des cellules inflammatoires ont été notées chez trois animaux traités avec de très fortes doses (500 mg/Kg/24h sur 4 semaines et un rat de l’étude 150mg/Kg/24h sur 4 semaines.  Ces atteintes semblent assez fréquemment observées chez les rongeurs lors d’études de ce type et n’étaient a priori pas de nature à générer un signal. Chez le singe, lors des études sur 4 semaines menées avec des doses de respectivement, 10, 50 et 100 mg/Kg/24h des atteintes de la medulla oblongata (bulbe rachidien) à type d’« axonal dystrophy » ont été notées chez quelques animaux du groupe 100 mg/Kg/24h et non chez ceux recevant des doses inférieures. Il est difficile de se prononcer sur la nature histologique précise de cette atteinte. Un primate est mort et d’autres ont dû être sacrifiés pour raisons éthiques, mais à très fortes doses correspondant à 100 fois la dose maximal administrée chez l’homme en doses répétées.  La conclusion du Comité Spécial est claire : « Le dossier des études animales du BIA 102474 semble globalement de bonne qualité et aucun élément dans les données que le CSST a étudié ne constituait un signal de nature à contreindiquer un passage chez l’homme. Ceci est notamment vrai pour la toxicité d’expression neurologique avec des atteintes du système nerveux central et du système nerveux autonome ayant affecté un petit nombre d’animaux traités aux plus fortes doses. Ce caractère a priori non alarmant des atteintes neurologiques observées a été confirmé par l’examen des coupes des tissus concernés par les experts du CSST ».

Un accident imprévisible

Le premier volontaire a été hospitalisé dans la soirée du 10 janvier 2016, jour de la cinquième, administration du produit à l’essai. Deux autres volontaires ont été hospitalisés le 11 janvier (jour de la sixième administration), deux autres le 12 janvier (lendemain de la dernière administration) et le dernier volontaire le 13 janvier, soitdeux jours après la dernière administration. Les principaux symptômes cliniques relevés ont été : des céphalées, présentes chez les cinq volontaires, très sévères chez l’un mais ne survenant cependant pas en « coup de tonnerre », des signes cérébelleux chez trois volontaires, des troubles de la conscience (chez trois volontaires) allant d’un ralentissement psychomoteur au coma (chez le volontaire décédé), des troubles mnésiques chez deux volontaires. D’autres symptômes n’ont été notés qu’une seule fois : diplopie, paresthésies des cuisses, hémiparésie avec « tremblements » de l’hémicorps sans syndrome pyramidal, douleur etb raideur du rachis. Pour trois volontaires, l’évolution du tableau clinique initial s’est faite vers l’aggravation : le premier sujet hospitalisé est passé en état de mort encéphalique trois jours après le début des troubles. Pour les deux autres, le tableau s’est aggravé pendant trois à quatre jours avant une phase de stabilisation (de deux à trois jours), puis d’amélioration. Ces deux volontaires gardaient cependant des troubles (essentiellement cérébelleux et mnésiques) à leur sortie du CHU de Rennes.
Pour les deux volontaires dont les troubles étaient mineurs ou, de ce fait, d’interprétation délicate, aucune aggravation n’a été notée ce qui a justifié leur sortie du
CHU sans séquelle apparente.
L’accident survenu lors de l’essai du BIA 102474 au centre Biotrial de Rennes revêt un caractère indiscutablement stupéfiant et inédit de par : sa gravité (plusieurs volontaires de la même cohorte ayant du être hospitalisés, l’un d’entre eux étant décédé dans les jours suivant son admission) ; le fait, qu’apparemment, les études de toxicologie, pourtant menées sur quatre espèces animales jusqu’à des doses très élevées, ne montraient pas de lésions ou de tableau de nature à prédire une toxicité neurologique particulière, le caractère très inhabituel de la présentation clinique et radiologique de l’atteinte cérébrale observée chez plusieurs volontaires de la cohorte MAD n°5,ne s’apparentant à rien de connu à ce jour, le fait qu’aucun signe patent, neurologique ou radiologique, de ce type n’ait été retrouvé chez les autres volontaires (certains ayant absorbé jusqu’à 100 mg en dose unique ou 200 mg en dose cumulée sur 10 jours), enfin, le fait que cet accident soit survenu avec une molécule apparentée à d’autres composés (une dizaine) dont plusieurs ont vu leur développement abandonné du fait d’une efficacité insuffisante sans qu’aucune toxicité neurologique ou autre n’ait été observée.

Aurait-il pu être évité ? Les recommandations du CCST (Comité Scientifique Spécialisé Temporaire)

Les études précliniques et cliniques ont été faites selon les règles en vigueur. Le rapport du CCST insiste sur le fait que « en particulier, et contrairement à ce qui a pu être dit de manière erronée par plusieurs vecteurs d’information, il n’y a pas eu de chevauchement temporel entre les différentes cohortes, notamment en dose répétées ascendantes ». Bien que toutes les règles en vigueur aient été suivies, le CCST pointe deux particularités qui auraient dû conduire à une modification de l’essai clinique dans le sens d’une prudence accrue, surtout étant donné le profil particulier de la molécule en terme de durée d’action et de courbe « tout ou rien »., et qui l’amène à proposer quatre nouvelles recommandations pour les essais cliniques.
1)      D’après les étude précliniques,  la dose maximale prévue pour être testée chez les volontaires a été fixée à 100 mg, que ce soit en administration unique ou répétée. Nous avons vu que ce choix apparaît a priori logique et la règle, qui veut que l’on ne dépasse pas en première administration à l’homme une dose correspondant à la NOAEL  No adverse effect), a été ici respectée. Or, le produit s’est révélé chez l’homme plus efficace qu’attendu et l’inhibition de la FAAH (mécanisme allégué de l’activité pharmacologique du BIA 102474) est obtenue, chez l’homme, pour 1,25 mg et est quasicomplète à 5 mg. Dans ces conditions, choisir 100 mg revenait à tester une dose 20 à 50 fois supérieure à celle supposée efficace, ce qui semble résolument excessif. Ce point majeur en terme de sécurité ne pouvait pas être anticipé lors de l’approbation et de l’initiation de l’essai (seules les données animales étant connues).
2)      En revanche, il eut été logique et attendu que le plan d’escalade de doses, qui était tout à fait classique , soit revu à la lumière des données pharmacocinétiques recueillies chez les volontaires. Dans cette optique, une progression géométrique (surtout de raison 2 ou plus) maintenue jusqu’au terme de l’escalade ne paraît pas raisonnable. Le CSST recommande donc que les progressions de type géométrique soient, dans la mesure du possible, évitées ou, du moins, que leur raison soit réduite en fin de progression.
3)       le CCST a préconisé une troisième mesure, qui n’aurait pas permis d’éviter le décès et les accidents observés lors de cette étude clinique, mais qui parait de bon sens : «  pour les médicaments à tropisme « système nerveux central », le bilan pratiqué pour la sélection, l’inclusion et le suivi clinique des volontaires dans une étude de Phase 1 devrait impérativement comprendre une évaluation neuropsychologique avec entretien clinique et tests cognitifs ».
4)      Enfin, le CSST souhaiterait que nonobstant les nécessaires considérations pour la propriété industrielle, un débat, au niveau européen et international, s’ouvre au sujet de l’accès aux données des essais de première administration à l’homme et de Phase 1, en cours ou ayant été antérieurement menés. Ceci constituerait indiscutablement un progrès en matière de protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales. Par exemple, la comparaison avec les protocoles d’étude de produits antérieurement développés ou l’accès facilité aux données de toxicologie et de tolérance clinique permettrait une analyse comparative très utile, notamment lors de l’analyse d’un protocole en vue d’un avis sur son autorisation.
Le minimum du respect dû aux victimes de cet accident thérapeutique serait en effet que soient adoptées très rapidement les préconisations du CCST : i.e. ne pas tester chez l’homme, en première administration,  des doses significativement plus élevées que celles qui, d‘après les études précliniques ou les premiers résultats cliniques, suffiraient à l’action thérapeutique (et si on n’est obligé d’aller plus haut que prévu, c’est qu’il y a un problème inattendu et cela devrait aussi provoquer un arrêt de l’essai), escalade plus prudente vers les doses plus élevées, sélection supplémentaire des volontaires pour certaines études, accès aux données de phase I pour les agences. Nous nous sommes trouvé en présence d’une toxicité de nature inconnue ; j’ y ajouterai donc la nécessité de comprendre la toxicité particulière observée lors de cet essai et de mener les études nécessaires à cette compréhension. En ce qui concerne plus précisément le système endocannabinoïde,   il parait nécessaire d’explorer les conséquences pharmacologiques de deux enzymes chez le rongeur au lieu d’un seul chez l’homme sur l’applicabilité des modèles rongeurs- même s’il est peu probable, compte-tenu des données obtenues avec les produits de la compétition, que ce soit l’une des causes de la toxicité du BIH.

Le traitement médiatique

Le traitement médiatique général de cet affaire a été empreint d’une retenue, d’un respect des victimes et d’une circonspection louables, à l’exception d’un journal, Le Figaro qui n’a cessé de multiplier approximations et contre- vérités. Exemples :
« Traitement ou prévention de pas moins de 41 maladies! Dans la demande provisoire américaine déposée le 24 juillet 2012, juste un an avant la demande de brevet international, le laboratoire Bial envisageait l'utilisation du composé dans le traitement ou la prévention de pas moins de 41 maladies! »
Ben oui, dans un brevet, on revendique tout ce qu’on peut raisonnablement revendiquer, c’est la règle même du jeu. Mais dans l’étude clinique, une indication était visée, celle de l’antalgie.
« La dangerosité de la molécule qui a conduit au décès d'un volontaire sain lors de l'essai clinique à Rennes en janvier dernier, et à des séquelles chez d'autres, a-t-elle été maquillée pour en minimiser les risques -Bial/Biotrial: une molécule à la dangerosité prédictible ? »
Réponse : non. Et quand le Figaro note que les toxicités et mêmes morts observées à très fortes doses dans les études précliniques chez l’animal, sans rapport avec celles administrées à l’homme, auraient été dissimulées, il ignore- ou fait semblant- le principe même de ces études de sécurité : les doses sont augmentées chez l’animal jusqu’à ce qu’apparaisse une toxicité. Tous les médicaments sur le marché ont montré une toxicité dans les études précliniques.
 « Après cet accident, l'ANSM comme le laboratoire portugais Bial se retranchaient derrière le secret industriel et médical pour ne pas communiquer à une communauté internationale ébahie, les documents relatifs à l'essai ».
Faux : l’ANSM, agence du médicament a été d’une rapidité et d’une transparence exemplaires.
Etc. etc.
Le Figaro a même parlé d’opération de déstabilisation du président de l’agence du médicament… Ignorance, exploitation scandaleuse, intérêts opaques ? En tous cas, Le Figaro a été une exception assez malvenue dans l’ensemble d’une  presse écrite, radio, télé impeccable.