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mercredi 18 novembre 2015

L’énergie électrique : trop sérieux pour être confié aux économistes ?


Menace sur les barrages français : mise en demeure de la Commission

On avait déjà vu les dégâts causés par la privatisation de la production électrique en Californie, ce sont maintenant les barrages et l’électricité hydro-électriques française qui sont dans le collimateur des fous libéraux de la Commission Européenne.  Il est vrai que la France ne peut pas faire semblant de découvrir le problème (cf mon billet précédent : Electricité : vers le grand noir !

Donc la Commission Européenne veut imposer la concurrence sur l’énergie hydroélectrique, Pourtant, il s’agit d’ un marché naturellement limité et concernant des ressources publiques – 1) on ne peut pas construire autant de barrages que l’on veut. 2) C’est une industrie où la sécurité est primordiale et le profit ne peut être le seul moteur – les barrages ont tué plus que le nucléaires. 3) C’est un secteur qui a été relativement négligé ces dernières années et qui nécessite de gros investissements, pour la sécurité et aussi pour augmenter la productivité, et les expériences étrangères montrent que les opérateurs privés ne les feront pas. 4) Enfin, l’énergie hydroélectrique constitue une énergie durable et écologique au plus haut point, et une énergie d’appoint mobilisable à volonté lorsqu’une pénurie menace, justement ce dont nous avons le plus grand besoin !

En France, cette politique de le Commission a trouvé un relais dévoué avec la Cour des Comptes, qui a cru bon d’appuyer la demande européenne de mise en concurrence des barrages hydroélectriques ; ils connaissent tellement bien le sujet qu’il a d’ailleurs fallu leur expliquer gentiment que la concession, pour des raisons techniques évidentes, ne pouvait se faire barrage par barrage, mais par vallées entières. La Cour des Comptes, ce sont des comptables et pas des stratèges industriels !

Les Allemands ont gentiment expliqué à la Commission que leurs monopoles régionaux équivalent à une concurrence au niveau national, et que donc, ils ne feraient rien ;  les Portugais se sont dépêchés de faire passer leurs concessions de service public sur l’hydroélectrique à cent ans ; l’Autriche a choisi 80 ans, ce qui laisse aussi le temps de voir venir les prochaines Commissions. La Norvège et la Suède ont carrément choisi de garder le contrôle public de leurs barrages – ce qui n’empêche pas les Suédois d’être candidats à la reprise de barrages en France.

 En France, nous n’avons rien fait, et nous voilà au pied du mur puisque la Commission vient d’envoyer  début novembre 2015 une mise en demeure  extrêmement sèche, comme le révèle notamment Mediapart du 3 novembre 2015 : « La Commission considère que les mesures par lesquelles les autorités françaises ont attribué à EDF et maintenu à son bénéfice l’essentiel des concessions hydroélectriques en France sont incompatibles avec l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. ». Missive ou missile de Margareth Vestager expédié à Laurent Fabius. La seule réaction du gouvernement français semble être de faire semblant de n’avoir pas reçu la mise en demeure en question, et le manque de réponse appropriée provoque l’inquiétude.

 Comment se tirer une balle dans le pied

Cette politique de l’ignorance ayant brillamment réussi, il semble que nous ayons décidé de la continuer. Le flou des intentions du gouvernement et du Ministère de l’Ecologie concerné au premier chef entretient une inquiétude légitime qui augmente, notamment à EDF. D’autant que la solution que semblait envisager Ségolène Royal ( la constitution de société d’économie mixte  impliquant les collectivités locales ») n’est guère rassurante au vu dont sont gérées les concessions de fournitures d’eau, guère rassurante pour la sécurité de l’approvisionnement en France, pour l’investissement, pour la sécurité, hydraulique, mais aussi nucléaire, pour l’intérêt du consommateur- la rente hydraulique se trouvant confisquée par des actionnaires privés

La façon dont la France s’est tirée une balle dans le pied est instructive : loi Sapin de 1993 obligeant à la mise en concurrence lors du renouvellement de concession ; abandon du statut de service public d’EDF en 2006 ; absence de réaction en 2011 lors de la directive européenne sur les concessions, où il aurait été encore possible d’exclure les barrages hydroélectriques, comme l’ont fait les Allemands. Et c’est ainsi que nous nous retrouvons les seules à passer sous la fourche caudine de la concurrence libre et non faussée, dogme exclusif du culte de la Commission.

Tant et si bien que la France se retrouverait la seule en Europe à ouvrir ses barrages  hydroélectriques à la concurrence, alors qu’elle possède le deuxième réseau européen, amorti, et qui produit l’énergie la moins chère entre 20 et 30 euros le Megawatt.heure , contre 50 euros pour le nucléaire et 80 euros pour l’ éolien et le solaire.

Comme Mediapart l’indique dans son article, « cette remise en cause est lourde de conséquences, non seulement pour EDF, mais pour l’ensemble du système électrique français. Représentant un peu plus de 12% de la production électrique en France, les barrages constituent la seule énergie stockable, disponible à tous moments, pour assurer la continuité sur le réseau face  aux consommations de pointe et aux intermittences de la production, devenues de plus en plus fréquentes avec l’émergence des autres énergies renouvelables. ( éolien et solaire). Ce sont aussi les barrages qui soutiennent la sûreté du parc nucléaire français, bâti au bord de l’eau, en fournissant l’eau nécessaire au refroidissement des centrales ».

Les spécificités du Parc Français, et notamment le lien entre l’hydraulique et la sécurité nucléaire devraient permettre d’échapper aux mises en demeures de la Commission, encore faudrait-il que les politiques rattrapent leurs multiples erreurs précédentes et indiquent une volonté claire de préserver la propriété publique de l’hydraulique français.

 Le retour de la politique industrielle : pas trop tard ?

L’hydraulique n’est qu’un exemple, l’un des plus inquiétant, d’une politique industrielle à vau-l’eau…inexistante depuis qu’elle est abandonnée  aux économistes  et à leurs dogmes. En témoigne, d’une certaine façon, un article du très libéral Le Boucher dans le très libéral L’Opinion : La ruine des industries gaullo-pompidoliennes (L’Opinion, 25 Octobre 2015). Citations : « Le donjon n’en est plus un. EDF n’a pas la force d’éclairer seul les Français. Des industries nées de la volonté du général de Gaulle et de la pugnacité de Georges Pompidou, il ne va bientôt plus rester grand-chose. Toutes ces puissances, adossées à l’Etat interventionniste, sont en ruines ou proche de l’être.

Dans cet espace hier fortifié, EDF était le donjon. Premier groupe d’énergie électrique dans le monde, des ingénieurs les meilleurs, des employés à haut dévouement, une image d’excellence entretenue par ces hommes en haut des pylônes dans les tempêtes d’hiver, raccordant les populations isolées…. Mais surtout, cet aveu de Jean-Bernard Lévy : le groupe n’aura pas la capacité financière de construire seul ses centrales, il lui faudra trouver des partenaires.

On a bien lu : le donjon n’en est plus un. EDF n’a pas la force d’éclairer seul les Français. Déjà qu’il a perdu son monopole mais en plus, pour ce qui le concerne, pour sa part de marché, il n’a pas les moyens financiers. En clair, il faut des «partenaires» et comme EDF a dû le faire en Grande-Bretagne, les Chinois seront sans doute parmi eux.

Se rend-on bien compte de la situation de la France ? EDF contraint de faire comme un vulgaire Peugeot appel aux Chinois... La France gaullo-pompidolienne n’a plus de courant. Coupure. Sans Chinois, ou d’autres, nous devrions faire le noir pendant des heures de la journée, comme le Venezuela.

La France n’a plus les moyens d’être autonome pour son électricité. On cauchemarde.

Mais EDF n’est pas seul. Faites le tour du paysage, c’est pire.. »

Ah ben oui, très chers, dans tous les sens, économistes libéraux. Mais il était urgent, n’est-ce pas, de briser le monopole EDF, d’ouvrir le marché électrique la concurrence, de casser EDF en deux en cédant GDF au privé, suscitant de manière totalement artificielle et avec d’énormes avantages un concurrent privé. La concurrence libre et non faussée plutôt que la stratégie industrielle. Et après cela, on s’étonne qu’EDF ne soit plus assez gros pour assurer l’approvisionnement en électricité des Français ?

Un petit mea culpa ? L’abandon de la priorité absolue à la concurrence libre et non faussée ? Le  retour de la stratégie industrielle ?  A l’échelle européenne ? D’autres idées ?

Le barrage de la Rance restera-t-il français ?
 

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