Viv(r)e la recherche se propose de rassembler des témoignages, réflexions et propositions sur la recherche, le développement, l'innovation et la culture



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lundi 29 juin 2015

Réforme du collège : arrêter tout


Le gouvernement est-il devenu suicidaire ? N’entend-t-il pas ces milliers de conversations dans les familles inquiètes, désemparées, en colère devant une réforme du collège qui supprime  ce qui fonctionnait bien ( les classes européennes ou bilingues) et permettait à chaque collège, même dans les zones les plus démunies d’offrir à tous une filière méritocratique ; au premier rangs desquels les familles moyennes et même populaires qui se demandent si cette fois elles ne vont pas quitter massivement  le service public ; ces réformes qui, au rebours de ce qu’il faudrait faire, en remettent encore dans ce qui a été fait depuis vingt ans et ne fonctionne pas, en remettent dans l’idéologie de Bourdieu et disciples, supprime encore du temps consacré aux apprentissages fondamentaux, à la culture classique, « culture de classe et instrument de la domination bourgeoise ». Le rapport Bourdieu de 1985 condamnait  « l’importance excessive accordée à la trilogie « lire, écrire, compter » peut à bon droit être considérée comme l’un des facteurs de l’échec scolaire » ; il a été vraiment catastrophique, d’autant qu’il a été étendu à tous les apprentissages élémentaires et à la culture générale et classique ; sauf que l’avenir est bien sombre pour ceux qui ne maîtrisent pas ces codes. Le gouvernement n’entend-t-il pas  la colère de ces enseignants, qui depuis des années tentent de faire encore leur métier et résistent courageusement aux délires des pédagos de la rue de Grenelle, enseignants ratés qui n’ont pas vu une classe depuis longtemps et qui, pour ne pas s’avouer leurs échecs, années après années, réformes après réformes, font tout pour saborder ce qui fonctionne encore malgré eux (excellent dossier dans Marianne du 26 juin sur le manque de sérieux scientifique de la plupart des théories de ces fameux pédagogues, le fait notamment que le nombre d’heures de français lors de la scolarité jusqu ‘au collège a diminué d’un tiers en trente ans et ce constat d’Antoine Prost : C’est comme si  l’on avait obligé tous les élèves à sauter une classe. Nous avons organisé l’échec ») Rappelons encore que Laurent Lafforgue (médaille Fields) a été exclu du Haut Conseil à l’Education pour avoir déclaré : « notre système  éducatif public est en voie de destruction totale à cause des experts du ministère de l’éducation ».
Il est tout de même significatif que de l’inconscience française que le gouvernement s’apprête à bouleverser Polytechnique, mais qu’il se garde bien de toucher aux premiers cycles des Universités ! constate Julliard dans Marianne. Il y a décidément chez ces gens de la rue de Grenelle comme une sorte de désir de terre brulée. Viva la Muerte de la culture, de l’intelligence, de l’exigence, du travail.
Le choix de Manuel Valls d’imposer par décret une réforme refusée par les parents et une grande partie des enseignants, qui divise à ce point la gauche elle-même (Ségolène, Royal Jack Lang, Julien Dray ont exprimé de fortes réserves), et surtout qui divise les intellectuels de gauche dont beaucoup sont vents debout est une erreur profonde. Comme l’a dit Julien Dray, on ne peut pas passer de force sur un tel sujet- heureusement, l’éducation passionne encore beaucoup de gens. On dirait que ce gouvernement a décidé de se couper de ses plus fidèles soutiens. Là-dessus, la ministre perd ses nerfs et traite de pseudo-intellectuels les adversaires de la réforme ; compliment pour compliment, c’est elle la pseudo-ministre, qui défend avec une morgue incroyable et une incompétence totale des projets qu’on a préparé pour elles, avec des arguments qu’on a préparé pour elle, brave petite soldate obéissante. On n’attend pas d’un ministre qu’il soit l‘esclave de son administration, mais bien qu’il défende et impose un projet dont il est porteur et responsable devant l’opinion ; et il est assez emblématique, et terrible pour cette gauche qui compte tout de même tant d’enseignants dans ses rangs, que le ministère de l’éducation ait été confié à quelqu’un qui n’a strictement aucune idée, aucun projet, aucune ambition  en matière d’éducation ( à part la lutte contre les préjugés sexistes – oui, une pseudo-ministre. Qu’en pense M. Peillon, le premier ministre de gauche à avoir reconnu que les  résultats des élèves français sont de plus en plus mauvais ?
A noter cette proposition décoiffante de Jacques Julliard : raser la rue de Grenelle, c’est-à-dire remplacer le ministère de l’éducation par un Haut-Commissaire, nommé pour cinq ans, choisi de manière non partisane. Et celle-ci, très raisonnable, de Julien Dray ; le principal problème du collège étant l’hétérogénéité des élèves sortant du primaire, réinstaurer des « sixièmes de transition » (il n’emploie pas le terme, mais c’est de cela qu’il s’agit)  pour accorder une année supplémentaire à ceux qui ne pourraient pas suivre sans cela. A un autre niveau, c’est ce qu’ont fait les lycées parisiens les plus prestigieux, en classes préparatoires – notamment commerciales et littéraires : ils ont créé une année de » propédeutique » pour permettre aux meilleurs élèves  de lycées peu favorisés de s’intégrer dans les meilleurs conditions. Voilà le type de mesures intelligentes et justes, lesquelles ne viennent surtout pas de la rue de Grenelle, mais de proviseurs et de professeurs innovants et courageux.
Bref, lorsque le ministère, et surtout la ministre de l’éducation déclarent la guerre à l’intelligence, mécaniquement ils deviennent bêtes. Et il est urgent d’arrêter l’actuelle réforme des collèges.
 

samedi 27 juin 2015

Positivisme et éthique


 
Une éthique non théologique, qui suive le mouvement des sciences

 En 1894, Charles Jeannolle succède à Pierre Laffitte, désigné par Auguste Comte comme son successeur. Lors de son intronisation, il prononce un discours fleuve sur le programme qu’il entend suivre. Il rappelle que le Positivisme considère que les conceptions morales (l’éthique) dépendent de l’état général de la civilisation (l’esclavage, que les philosophes grecs les plus audacieux ne pouvaient même songer à supprimer est maintenant une monstruosité), et singulièrement des avancées scientifiques et techniques ; que dans nos sociétés qui ont quitté l’état théologique, puis métaphysique pour entrer dans l’état positif, les religions théologiques n’ont plus qu’un caractère privé et ne peuvent plus prétendre organiser la société ; que les connaissances et techniques nouvelles imposent une nouvelle éthique, aussi scientifique que possible (Auguste Comte proposa de faire de la morale la septième science, après les mathématiques, l’astronomie, la physique, la chimie, la biologie et la sociologie). En tous cas, une leçon simple du positivisme est que l’éthique évolue nécessairement avec les avancements des sciences, et que les scientifiques ne peuvent pas plus se désintéresser de l’éthique  que l’éthique ne peut se passer des scientifiques.

 Voici un extrait du texte de Charles Jeannolle :

« Mais ce n'est pas seulement au point de vue politique que le Positivisme est indispensable : il l'est, on peut l'affirmer avec certitude, à quelque point de vue que l'on se place. C'est ainsi notamment que les anciennes règles morales, conçues et proclamées comme l'expression de la volonté divine, n'ont plus de fondement assuré pour ceux, et le nombre en augmente rapidement, qui ne croient plus au surnaturel ; elles ont ainsi perdu de leur autorité et ne se maintiennent plus qu'en vertu de l'habitude; c'est là une situation grosse de dangers. Et, d'un autre côté, ces règles, établies à des époques anciennes et dans des conditions différentes de celles qui nous sont, faites, sont ou inapplicables ou muettes en face des questions nouvelles, et laissent les individus livrés à leur propre sens, c'est-à-dire, au fond, à leurs passions divergentes; de là, une menace pour la paix publique. Il est donc indispensable, et même urgent, que la science s'empare aussi du domaine moral, et vienne épurer et compléter tout cet ensemble de préjugés et d'habitudes qui constitue la moralité humaine. Auguste Comte, après avoir fondé la sociologie, voulut aussi fonder la morale scientifique; il en fut empêché par la mort et ne put que dresser le plan de cette œuvre capitale. Après lui, M. Laffitte a repris la question : il a fait plusieurs fois, d’après le plan d'Auguste Comte, un cours de morale positive dont les leçons ont é publiées pour la plupart et bientôt, sans doute, le seront complètement. La formulation des devoirs qui incombent à chacun dans les sociétés modernes est le plus grand service que Ton puisse rendre aujourd'hui ; car, selon le mot de Tacite, dans les temps troublés, le plus difficile n'est pas de faire son devoir, c'est de le connaître. Or, il est bien évident qu'en ce moment, s'il y a anarchie morale, c'est surtout parce qu'il y a anarchie intellectuelle : le nombre des vérités a diminué parmi les hommes; Charles Jeannolle, Revue Occidentale, seconde série, tome X, 1894
 

jeudi 25 juin 2015

Bioethics: Black clouds or age of enlightenment_2?

In a recent  post, I started to discuss how the progress of genetics and medicine, particularly the deciphering of the genome and the prediction of disease or responses to drugs, should seriously shake the members of the Ethics Committee. These progress, first, offer new solutions for better lives, then, new challenges which must be treated in a quite divided society, a legislative context often absurd or even revolting about what the law allows or prohibits, strong injustices according to the degree of knowledge, financial resources, social relations,  and the National Ethics Committee staying consistently behind (far  behind) the demands of society. In this second post, other  stimulating examples.

Three DNA” babies
Mitochondria are the "power plants" of cells; they have their own DNA, which is passed through the mother. The most common signs of a mitochondrial disease are a myopathy or excessive muscular fatigue, cardiomyopathy, a decrease in vision and hearing, and often also severe neurological signs: encephalopathy, epilepsy, dementia, ataxia... They hit about a newborn on 6500.
In February 2015, the British Parliament approved in vitro fertilization with mitochondrial replacement. When a woman is at risk of transmitting a mitochondrial disease, she can be proposed a fertilization in vitro, with maternal oocytes from only the core has been kept, the oocyte donor, separated from its kernel and containing healthy mitochondria, and sperm from her husband or partner. The child to be born was born will have three biological parents, three different DNAs. David Cameron, (one of his children died at 6 years old) commented the vote: "If science can help (...), we must ensure that these treatments are available"; and, for the Minister of health, it is "the light at the end of a dark tunnel". This treatment is not allowed in France. Ethics beyond the Channel, morally prohibited on the other side ; light beyond, darkness on the other side!

Genetic manipulation on the human embryo
In April 2015, a Chinese team has published the first attempt of gene therapy on a human embryo. It was embryos with a genetic  mutation causing beta Thalassemia (a deficient haemoglobin that can result in severe anaemia). Using the new opportunities of 'genetic edition' , the crispR/case9 techniques (possibility to insert much more specifically a gene at a particular location), Chinese researchers have attempted to replace the mutant by a functional hemoglobin gene. Let say first  that the result was quite disappointing: genetic modification expected occurred in 4 embryos on 54, and insertions have occurred in significant numbers in other parts of the genome. The Chinese team recognize: the technique is far from being mature enough to consider therapeutic human cloning. In this case, it was only an experiment on unviable  human embryos, from an IVF attempt, intended for research, with consent of the donors, and without intent of go to birth.

However, these manipulations on the human embryo are prohibited in almost all Western countries, and a number of researchers have called for a moratorium on this type of research in Nature... not even a month before the publication of the Chinese study (refused by some major scientific journals). Clearly, this moratorium cannot stand - apart from being inefficient, it is even ethical ? Research will continue in the West or elsewhere and, probably one day, the technique will correct very reliably a mutation in a human embryo. Will we consider the baby that is born to be a clone (horror?), or simply a cured baby (great!)?

There again, the scientific community is shared. Nicole Le Douarin, Pr at the College de Franceis  rather supportive : "I'm for progress, not to fear. Do not dismiss this technique, because it can have very interesting applications, provided that they are strictly supervised. Imagine that this could allow in the future to eradicate a monogenic disease like cystic fibrosis... "(Science et avenir, June 2015). Axel Kahn  spoked  of  " fame for media” and “symbolic of the forbidden and the scandalous"  and precised "there is a much easier and safe way to allow the birth of a healthy child: prenatal diagnosis or preimplantation, with elimination of embryos carrying a genetic defect”. Declarations of past  or present members of the National Consultative Ethics Committee startling me more and more. On behalf of what, instead of who  dopes he have the right to decide that the elimination of defective embryos is more ethical than looking for techniques to treat them?

Preimplantation genetic diagnosis (selection of embryos) for breast cancer
For the first time in France, a couple whose wife carries the BRCA1 mutation, predisposing them to breast (risk multiplied by 4-6) and ovarian (risk multiplied by 10 to 50) was authorized to take a preimplantation genetic diagnosis, so as to ensure that the child born by IVF will not be affected. This had already been accepted for other cancers where genetic determinism is even more important (retinoblastoma, Li Fraumeni) . This process is authorized since 2009 in England (gain, the Channel as ethical barrier!); In France, so far, all applications had been denied (by whom, in what name?). A 2008 report recommended for BRCA1 and A2 genes not to propose a pre implantation diagnosis, except in some cases "where demand would similarly admissible» (by whom, in what name?)." Onco geneticist Pascal Pujol speaks "of an incredible subjectivity" (Le Monde, mercredi17 June 2015). And if one accepts the possible use of preimplantation diagnosis, I see no reason to deny freedom of BRCA1 testing, as proposed, for example,by  23andme. In short, when France moves in this area, it is in arbitrariness and injustice.

Yes, it really is time that the National Consultative Ethics Committee starts to work - the arbitrary and unjust are accumulating. It is time also to put in the foreground the will of patients and society in general; to listen a little less those who, for religious reasons or by medical routine, thrive well of a humanity which should for ever a suffering humanity. The positivist I am would consider ethics, very simply, as any sufficiently safe technique which can alleviate people’s woe…
 

mercredi 24 juin 2015

Le CCNE, la fin de vie et la laïcité

Les religieux ont-ils  leur place au CCNE ? Le débat sur la fin de vie
Le rapport du  CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) sur la fin de vie, riche en informations et  en interrogations, est un élément utile pour le débat public. Il reflète les opinions divergentes qui se sont exprimées au sein du Conseil.  Reste que ce qui s’y passe semble en décalage important avec ce que souhaite la société, et que cela pose problème ; d’autant que le législateur semble vouloir davantage écouter un Comité d’Ethique où pèsent les voix de représentant des religions théocratiques que celles des citoyens d’une société laïque.
Ainsi, s’il y a accord général sur « le scandale que constitue, depuis 15 ans, le non accès aux droits reconnus par la loi, et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens »,  le CCNE se montre pour le moins  timide et partagé  sur la sédation profonde lorsqu’elle peut accélérer la mort : « il existe une différence essentielle entre, d’une part, administrer un produit létal à une personne qui ne va pas mourir à court-terme si cette administration n’est pas faite, et, d’autre part, permettre d’accélérer la survenue de la mort en arrêtant, à la demande de la personne, les traitements qu’elle juge déraisonnables ».
Le divorce avec l’opinion publique est encore plus large en ce qui concerne le suicide assisté et l’euthanasie. Le rapport décrit bien les expériences étrangère (la Belgique a légalisé l’euthanasie, la Suisse, et les Etats de l’Oregon, de Washington, du Montana et du Vermont ont dépénalisé l’assistance au suicide (avec des modalités différentes ; la Suisse permet   l’assistance à la réalisation effective du suicide : la personne fixe la date ; si elle décide de surseoir, le caractère ferme de sa volonté sera remis en cause.  Aux USA (Vermont, Oregon, Washington, Montana), les personnes atteintes d’une maladie évaluée comme incurable peuvent obtenir la prescription par un médecin d’un produit létal et l’utiliser à leur souhait; les Pays-Bas et le Luxembourg ont dépénalisé les deux pratiques). Après la Commission Sicard,  le CCNE note que « les expériences étrangères, dans leur diversité, ont suscité une bonne adhésion populaire, n’ont pas conduit à une destruction du système de santé, à des  hécatombes de citoyens ou à la réalité de la pente glissante, au moins visible ». Néanmoins, il s’affirme dans sa majorité hostile à la dépénalisation et a fortiori à la légalisation. Nous sommes loin des demandes des citoyens français reflétées par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) : « Les Français, favorables à plus de 90% à cette loi de liberté (Ifop pour Pèlerin Magazine), les médecins, favorables à 60% à cette loi de liberté (Ipsos pour le Conseil national de l’Ordre des médecins), attendent d’avoir enfin le droit, comme l’ont nos amis Néerlandais depuis 2001, Belges depuis 2002 et Luxembourgeois depuis 2009, en conscience et librement, de choisir les conditions de leur propre fin de vie. »
Le fait que les Comités d’Ethique soient systématiquement en retrait sur les demandes des citoyens pose problème, et ceci étant lié, comme l’a relevé récemment Michel Onfray dans Marianne (24/11/2014), pose aussi le problème de la présence dans ces comités de représentants des autorités théologiques. Il existe en effet d’excellentes raison pour que des représentants des églises ne figurent pas dans les Comités d’Ethique :
La France est une république laïque, ce qui selon la définition simple des positivistes, signifie que Dieu n’est plus d’ordre public, il est (éventuellement) d’ordre privé.
En quoi les religions disposent-elles d’une compétence particulière dans le domaine de l’éthique ?  En dehors de prescriptions communes à toute l’Humanité, et qui sont des créations de celle-ci, elles se sont surtout distinguées par le savant usage de prescriptions pour le moins pénibles, destinées surtout à entretenir un sentiment de culpabilité fort utile à l’institution ecclésiale.
Même dans leur vie privée, il y a longtemps que les Français se sont affranchis, dans leur grande majorité, de toute tutelle ecclésiastique – et heureusement en ce qui concerne, par exemple, l’utilisation du préservatif. La morale n’est plus divine, elle est humaine, la menace de la sanction divine n’opère plus, et l’on peut d’ailleurs trouver que cette absence  de sanction divine constitue à la fois la réalité et la noblesse de la morale moderne.
Pour qu’un débat utile et loyal soit possible, il faut que les membres d’un Comité d’éthique soient prêts à changer d’avis, à se rendre aux arguments des autres. Pour reprendre une idée de John Rawls, il faudrait qu’ils soient capables de se placer derrière un « voile d’ignorance » derrière lequel ils ignoreraient tout de leur situation familiale, sociale, de leurs convictions religieuses. C’est évidemment impossible à des représentants officiels d’une religion. Il faudrait de plus qu’ils jouissent d’une liberté temporelle ; or le fait pour le représentant d’une religion d’adopter un point de vue contraire aux dogmes de son église peut avoir des conséquences désagréables.
N’oublions pas qu’en avril 2014, le Dr. Kariger le médecin de Vincent Lambert, tétraplégique en état végétatif depuis six ans, a démissionné, découragé, entres autres, par les insultes et menaces qu’il recevait depuis qu’il s’était  déclaré en faveur d’interrompre sa vie artificielle. On ne peut siéger dans un Comité d’Ethique sans désavouer clairement de telles pratiques
Nous sommes dans un pays où certains pensent que laisser un patient mourir de faim ou de soif pendant une longue agonie est une pratique civilisée et éthique ; où la liberté de choisir sa mort est déniée.
Mon corps m’appartient, ma mort aussi m’appartient. Et il est assez clair que le XXIème siècle ne sera pas théologique, ou restera barbare.
 
 

lundi 22 juin 2015

Bioéthique : Noirs nuages ou âge des Lumières -2?

Dans un premier billet, j’ai commencé à expliquer à quel point les progrès de la génétique et de la médecine, en particulier en ce qui concerne le décryptage du génome et la prédiction des maladies ou des réponses aux médicaments devraient sérieusement secouer les membres du Comité d’éthique, tant, d’abord,  ils proposent de nouvelles solutions pour de meilleures vies,  ensuite, posent de nouveaux défis, qui doivent être traités dans une société qui semble assez divisée, un contexte législatif souvent absurde voire révoltant quant à ce que la loi autorise ou interdit, de fortes injustices selon le degré de savoir, les moyens financiers, les relations sociales ,un comité d’éthique systématiquement en retard sur les demandes de la société. Ci-joint, dans  ce deuxième billet, d’autres exemples assez décoiffants.
Les Bébés à trois ADN

Les mitochondries sont les « centrales énergétiques » des cellules ; elles disposent de leur propre ADN, qui n’est transmis que par la mère. Les signes les plus fréquents d'une maladie mitochondriale sont un une myopathie ou une fatigabilité musculaire excessive, une cardiomyopathie, une diminution de la vision et de l'audition, et souvent aussi des signes neurologiques graves : encéphalopathie, épilepsie, la démence, ataxie… Elles frappent environ un nouveau-né sur 6500
En février 2015, le Parlement britannique a autorisé la fécondation in vitro avec remplacement mitochondrial. Lorsqu’une femme est à risque de transmettre une maladie mitochondriale, on peut lui proposer une fécondation in vitro, avec  des ovocytes maternels dont seul le noyau a été gardé, l’ovocyte d’une donneuse, séparé de son noyau et contenant des mitochondries saines, et le sperme de son mari ou compagnon. L’enfant qui naitra nait ainsi de trois parents, de trois ADN différents. David Cameron, qui a vu mourir à six ans un de ses enfants handicapés, a  commenté ainsi le vote : « Si la science peut aider (…), nous devons nous assurer que ces traitements sont disponibles» ; et, pour sa ministre de la santé, c'est «la lumière au bout d'un noir tunnel». Ce traitement n’est pas autorisé en France. Ethique au-delà du Channel, interdit en deçà, lumière au-delà, obscurité en deçà !

Manipulation génétique sur l’embryon humain
En avril 2015, une équipe chinoise  a publié la première tentative de thérapie génique sur un embryon humain. Il s’agissait d’embryons présentant une mutation génétique entrainant la beta thalassémie (une hémoglobine déficiente pouvant entrainer de graves anémies). Utilisant les possibilités nouvelles d’ « édition génétique » qu’offrent les techniques crispR/cas9 (possibilité d’insérer de manière beaucoup plus spécifique un gêne donné à un endroit donné), les chercheurs chinois ont tenté de remplacer le gêne hémoglobine mutant par un gêne fonctionnel. Disons tout de suite que le résultat a été assez décevant : la modification génétique attendue ne s’est produite que dans 4 embryons sur 54, et des insertions se sont produites, en nombre important, en d’autres endroits du génome. Les Chinois le reconnaissent : la technique est loin d’être assez mature pour permettre d’envisager un clonage humain thérapeutique. Dans le cas présent, il ne s’agissait que d’une expérience sur des embryons humains non viables, issus d’une tentative de FIV, destinés à la recherche, avec consentement des donneurs, et sans visée de réimplantation.

Pour autant, ces manipulations sur l’embryon humain sont interdites dans quasiment tous les pays occidentaux, et un certain nombre de chercheurs ont demandé un moratoire sur ce type de recherches dans la revue Nature… pas même un mois avant la publication de l’étude chinoise (d’ailleurs refusée par quelques grandes revues scientifiques). Clairement, ce moratoire ne tiendra pas – en dehors d’être inefficace, est-il seulement éthique ? La recherche continuera, en Occident ou ailleurs et, probablement un jour, la technique permettra de corriger de manière très fiable une mutation dans un embryon humain. Considérerons-nous que le bébé qui en naîtra sera un clone (horreur ?), ou simplement un bébé guéri (super !) ?
Là encore, la communauté scientifique est partagée. Nicole Le Douarin, Pr au Collège de France est plutôt favorable « Je suis pour le progrès, pas pour la peur. Il ne faut pas rejeter cette technique, car elle peut avoir des applications très intéressantes, à condition que celles-ci soient rigoureusement encadrées. Imaginez que cela permette à terme d’éradiquer une maladie monogénique comme la mucoviscidose… » (Sciences et avenir, juin 2015). Axel Kahn parle lui de « l’attrait médiatique et symbolique de l’interdit et du scandaleux » (id.) et précise « il existe une manière beaucoup plus aisée et sûre pour permettre la naissance d’un enfant sain : la diagnostic prénatal ou préimplantatoire, avec élimination des embryons porteurs d’un défaut génétique ». Décidément, les déclarations des membres anciens ou actuels du Comité Consultatif National d’Ethique me laissent de plus en plus pantois. Au nom de quoi, à la place de qui a-t-on le droit de décider que l’élimination des embryons défectueux est plus éthique que la recherche de techniques permettant de les soigner ?
Diagnostic préimplantatoire (sélection des embryons) pour le cancer du sein

Pour la première fois en France, un couple dont la femme est porteuse de la mutation BRCA1, prédisposant aux cancers du sein (risque multiplié par 4-6) et de l’ovaire (risque multiplié par 10 à 50) a été autorisé à faire pratiquer un diagnostic préimplantatoire, de façon à s’assurer que l’enfant née par fécondation artificielle ne sera pas frappée par cette malédiction. Ceci avait déjà été accepté pour d’autres cancers où le déterminisme génétique est encore plus important (rétinoblastome, Li Fraumeni)
Cette démarche est autorisée depuis 2009 en Angleterre (encore le Channel comme barrière éthique !) ; En France, jusqu’à présent, toutes les demandes avaient été refusées (par qui, au nom de quoi ?). Un rapport de 2008 avait recommandé , pour les gènes BCRA1 et A2 de ne pas proposer un DPI, sauf certains cas "où la demande serait tout de même recevable » (par qui, au nom de quoi ?). L’onco  généticien Pascal Pujol parle « d’une subjectivité incroyable » (Le Monde, mercredi17 juin 2015). Et si l’on accepte le recours possible au diagnostic préimplantatoire, je ne vois aucune raison de refuser la liberté du  dépistage de BCRA1, tel que le propose , par exemple, 23andme. Bref, quand la France bouge en ce domaine, c’est dans l’arbitraire et l’injustice.

Oui, il est vraiment temps que le Comité Consultatif National d’Ethique se mette au travail - l’arbitraire et l’injuste s’accumulent. Il serait temps aussi qu’il place au premier plan la volonté des patients, et de la société en général ; qu’il écoute un peu  moins ceux qui, pour des raisons religieuses ou par routine médicale, s’accommodent fort bien d’une Humanité qui devrait rester un minimum et à jamais souffrante. Le positiviste que je suis considérerait volontiers comme éthique, très simplement, toute technique suffisamment sûre qui permet de soulager le malheur des gens.
 
 

vendredi 19 juin 2015

Michel Houellebecq's Submission : a novel about humanity


Houellebecq and Auguste Comte

In Marianne (16 January 2015), a leading french intellectual Jacques Julliard has dedicated an article to the latest book by Houellebecq (Submission). In Figures of the collabo, an article that seemed to me 1) one of the most relevant of the wave of criticism; (2) incomplete, because it leaves aside Houellebecq knowledge of the work of Auguste Comte and his fascination, obvious by the number of citations in his previous works.

Therefore Submission would mainly be a murderous charge against the French intellectual, a gladly companion of deadly ideologies, a "man which beautifully invokes Voltaire and Zola, but is willing to prostitute himself before power, and even more when this power takes dictatorial forms and uses systematic violence and terror ”. Julliard quote Houellebecq justifying his hero (anti-hero?) submission to the new french islamic power : "so many intellectuals during the 20th century had supported Stalin, Mao or Pol Pot, and were not reproached anything”…

Agreed, the desire or need for “submission” is particularly disturbing among intellectuals, where it  appears to be a denial of their very function. But, in Houellebecq’s novel, all society is concerned. The “moderate” islamist Ben Abbès is elected by a majority of French, and they enjoy its government : restored civil peace, prosperity again, and even happier family life, more jobs (but less women at work). Of course some women, some Jews, not all of them, just a few, have to make some sacrifices, nothing really serious , but finally, no omelette without eggs...

What happened? "No society can exist without a kind of religion, without a "common social doctrine", without which there are no other expedients, to maintain harmony, than the sad alternative of force or corruption" (Auguste Comte). This is what led the positivists to propose a Republican, non-theological, religion, a religion without God. (for fascinating exposés of the Religion of Humanity in english, it can be referred to Frederic Harrison texts - the leader of a small but dynamic english positivist community). The purpose of the republican religion is to" rally, link, regulate": rally men to the common social doctrine, reinforce social links, regulate social and moral behaviors.

Something must have gone wrong, as would say Houellebecq, there had to be some flaws in Auguste Comte’s Religion of humanity. The Catholic order has been destroyed, but not replaced ("you only destroy what you replace- also Auguste Comte). So, in this vacuum, the most recent and still vigorous theological religion triumphs, and this precisely by invigorating the social link; That’s how the  Muslim Brotherhood of Houellebecq’s novel comes to power ..., as well as, in real world, Muslim fundamentalist movements.

Desire and need for submission

Then,  is the desire or need for submission always negative? Many people complains about the lack of authority of teachers. Does teaching not require some kind of submission? You can’t learn anything without first accepting the authority of knowledge, competence, elders, great scientists, artists, writers of the past - before eventually  challenging them ? And, it’s not by chance that in the new president Ben Abbès France, teachers are much better regarded and treated ; this was part of the program and of the public desire.

"Submission is the basis of development" (Auguste Comte, again; a missile sent, with a kind of smile, to his main disciple Pierre Laffitte requesting clarification) - except that Comte himself did little to bind to academic authorities and governments and had to pay the price by marginalization ; so, a motto  to take with caution, but not less real.

"Submission is the basis of development”," Islam means submission”, so why not “Islam is the basis of development” and let’s make a novel about this. A novel, not really about Islam, not a political fiction (it is the weaker part of this book)), not a reactionary pamphlet,  nor sexist, nor racist. Simply a novel about humanity, as all great novels.

And by the way, when will Houellebecq’s last novel be published in England or United States ?  Will editors be more courageous that the intellectuals ( again ?) who refused to associate themselves with the fight for freedom, after Charlie Hebdo murders ?

 
Eric Sartori, author of  Le socialisme d'Auguste Comte, aimer, penser, agir au XXI ème siècle, L’Harmattan, 2013
 

lundi 15 juin 2015

Bioethics: Black clouds or age of enlightenment?


Genomics: huge progress with consequences

Jean-Claude Ameisen  is a real mystery ; how can he get front activities, from being chairman at the National Consultative Ethics Committee to  its always interesting chronicles on France Inter? But there, he will probably have to devote much of his time and intellect to the ethical problems as challenges, opportunities or potential issues related to advances in molecular biology are incredibly increasing. With this simple data, to be transmitted to economists who think that productivity is stagnating and that it is the primary source of our economic problems: between 2003 and 2013, the time and cost of the reading of the human genome has been divided by two millions !

Firstly, genetic testing. This year, in February, the FDA approved the first over-the-counter genetic screening test: it allows the detection of Bloom syndrome, a rare inherited disorder that causes stunted growth and a high risk of cancer. Simultaneously, the same FDA forbade the company 23and me, linked to Google, to market predictions on the predisposition to diseases or the reaction to certain medications. 23 and me offers genotyping in free access: a drop of saliva, $99, and you have your genotype. To do  what? As 23andme is prohibited (probably temporarily) to communicate on medical topics, it will communicate you data on your ethnic origin, the possible presence of parents away in some regions of the globe, migration etc... 23andme has already interested more than 900,000 customers.

The right to know

As usual, the french National Consultative Ethics Committee seems to have an attitude quite careful, no to say reactionary, on these subjects. This is evidenced by the interview of one of its members in Le Monde from May 6, 2015. Pr Gaudry justifies the decision to stop the activity of diagnosis of 23andme. First, crime of crimes, 23andme is a commercial enterprise ; It sells its genetic data to companies, for example to help research against Parkinson's disease. Anonymity is respected, no client does not suffer from any damage and research benefits of data that it could not obtain otherwise; but this is apparently a serious problem. Another argument: tests sell predictions without certainties, and "in medicine, probabilistic messages are difficult to understand”. Difficult for patients to understand or difficult to explain for doctors? Why decide instead of patients? "What to do if there is no satisfactory treatment”? Or trickier still, where there is a possibility, it is a “preventive dilemma” which arises. Thus, “all carriers of the gene BRCA1 or A2 would ask for removing both breasts, both ovaries and fallopian Falloppe?". ( it is estimated that BRCA1 cause an atmosphere of 60% of developing breast cancer before age 60). Pr Gaudry moderates fortunately: "the reading of the tests must remain intelligent, modulated and respectful." Indeed, but why prohibit patients have recourse? Without going to the surgical ends, a woman could, freely and well informed, choose, or not choose,  for example, to follow substitution hormone therapy for menopause.

Pr Gaudry concludes that the risk would “call into question the right of patients to do not know “. In the meantime, it is the right of patients to know that is denied – and knowledge means freedom. It must be said that, of course, the french medical community is not unanimous, and even quite divided. Thus, Jean-Louis Mandel, Professor of Genetics at the College of France, is concerned about the absence in France of debate on the subject and “does not understand the violent opposition of most of his colleagues” to services offered by 23andme. He has his own genome analyzed by this company in order to judge the quality of the tests and the explanations provided, and he was rather satisfied. Thus, he discovered that he was a healthy carrier of the cystic fibrosis gene and advised his daughter to be tested as well as her husband. Were they both carriers of the gene, their child would have had 25% risk for this serious disease; whatever the decision will be, it is definitely a type of information that you should be able to know if desired. He also discovered that he has a gene for susceptibility to age-related macular degeneration (AMD). As tobacco is a aggravating factor for this disabling condition (blindness), he could, if he was smoking, choose to stop or continue. Finally, Pr Mendel learned that he had increased sensitivity to warfarin, an anticoagulant which overdose leads, and quite frequently, to serious vascular accidents; This is an extremely useful and usable information which, in the event of treatment, should lead to enhanced surveillance and lower doses. Even in the case of predisposition to Alzheimer's disease, for which there is a gene (apoE4) that entails a risk multiplied by ten for carriers of two copies, even in this case where there is no known prevention or treatment, Pr Mandel points out that a young patient may prefer to know nothing; but an elderly patient may make a different choice to prepare for his life and that of his family in the event of problem. After hesitation, he chose the outcome for himself. He underlines that the presentation of the results by 23andme is extremely well made, informing patients and encouraging them to think before taking knowledge of each result. It is also one of the advantages of medical education in the USA to include an important part of learning to dialogue with patients; and that is what is missing in France, and would perhaps change the vision of many french doctors if it benefited during their studies of similar training.

Lastly, Dr. Mandel pointed out one of the many absurdities of our system; for cystic fibrosis, it is considered unethical to offer the opportunity for the parent to test their predisposition. But if they have a sick child, a pre-natal test for the following children is fortunately encouraged

An untenable position

The French position is untenable; It is legally untenable, because you can already foresee the day where a couple will sue the State for having denied them the possibility to be warned of a risk of predisposition; or, more convincing, the victim (or relatives) of an embolism under anticoagulant for not having had access to a test inexpensive and available which could have avoided this tragedy; It is ethically untenable, because it is not ethical to deny to those who so wish the way to avoid harm or tragedies, or even just to reduce the risk by informed and voluntary choices of life.

Yes, the National Ethics Committee is going to have a lot of work, and it would be urgent and welcome that it gives less room to mandarinal (what’s the english word for this?, significantly, I do not easily find an equivalent),  infantilizing and/or religious considerations, and gives  more to the desire of people  to master and be possessor of their life, to freedom and responsibility that give knowledge. In short, in the field of bioethics, it’s time to leave the minority age to enter into  adulthood – the enlightment age of biology. Are there problems? Yes, and the least of the problems, the least of the scandals wouldn't be that right to know for patients would become available for state organizations,  insurances, loans, banks, companies…while it would stay denied to patients to know for themselves…
 
 

jeudi 11 juin 2015

Bioéthique : Noirs nuages ou âge des Lumières ?


Génomique : progrès immenses avec conséquences
Il y un mystère Ameisen ; comment arrive-t-il à mener de front autant d’activités, de ses fonctions au Comité National Consultatif d’Ethique à ses chroniques toujours intéressantes de France Inter ? Mais là, il va sans doute falloir qu’il consacre une bonne partie de son temps et de son intelligence aux problèmes éthiques car les défis, possibilités ou problèmes potentiels liés aux progrès de la biologie moléculaire se multiplient.  Avec cette donnée simple , à transmettre aux économistes qui pensent que la productivité stagne et que c’est la principale origine de nos problèmes économiques : entre 2003 et 2013, le temps et le coût de la lecture du génome humain a été divisé par deux millions !
Tout d’abord, le dépistage génétique. Cette année, en février, la FDA a autorisé le premier test de dépistage génétique en vente libre : il permet la détection du syndrome de Bloom, une maladie héréditaire rare qui entraine un retard de croissance et un risque élevé de cancer. Simultanément, la même FDA a interdit à la société 23and me, liée à Google, de commercialiser des prédictions sur la prédispositions à des maladies ou à la réaction à certains médicaments. 23 and me propose un génotypage en libre accès : une goutte de salive, 99 dollars, et vous avez votre genotype. Pour enfaire quoi ? Comme 23andme s’est vu interdire (probablement provisoirement) le coté dispositif médical, il ne vous communiquera que des données sur votre origine ethnique, la présence possible de parents éloignés dans certaines régions du globe, les migrations etc…23 and me a déjà intéressé plus de 900.000 clients.
Le droit de savoir
Comme d’habitude, le Comité National Consultatif d’Ethique français semble avoir sur ces sujets une attitude assez rétrograde et mandarinale. En témoigne l’interview d’un de ses membres dans Le Monde du 6 mai 2015. Le Pr Gaudry justifie la décision d’arrêter l’activité de diagnostic de 23andme. D’ abord, crime des crimes, 23andme fait du commerce ; elle vend ses données génétiques à des sociétés, par exemple pour favoriser la recherche contre la maladie de Parkinson. L’anonymat est respecté, aucun client ne souffre d’aucun dommage et la recherche bénéficie de données qu’elle ne pourrait se procurer  autrement ; mais c’est apparemment un grave problème. Autre argument : les tests vendent des prédictions sans certitudes, et, «en médecine, les messages probabilistes sont difficiles à comprendre ». Difficiles à comprendre pour les patients, ou difficiles à expliquer pour les médecins ? Pourquoi décider à la place des patients ? « Que faire s’il n’existe aucun traitement satisfaisant » ? Ou, plus délicat encore, lorsqu’il existe une possibilité, c’est un « dilemme préventif » qui se pose. Ainsi, « toutes les porteuses du gêne BCRA1 ou A2 doivent-elles se faire enlever les deux seins, les deux ovaires, et les trompes de Falloppe ? ». ( on estime que le gène BCRA1 entraine un riques de 60% de développer un cancer du sein avant 60 ans). Le Pr Gaudry modère heureusement : « la lecture des tests doit rester intelligente, modulée et respectueuse ». En effet, mais pourquoi interdire aux patients d’y avoir recours ? Sans aller aux extrémités chirurgicales, une femme pourrait, en toute liberté et information, choisir ou pas par exemple de suivre un traitement hormonal de substitution contre la ménopause.
Le Pr Gaudry conclut que le risque serait de « remettre en cause le droit des patients à ne pas savoir » ? En attendant, le savoir rend plus libre, et c’est le droit des patients à savoir qui est dénié. Il faut dire que bien sûr, la communauté médicale n’est pas unanime, et même assez divisée. Ainsi, Jean-Louis Mandel, professeur de génétique au Collège de France, s’inquiète de l’absence en France de débat sur le sujet et « ne comprend pas la violente opposition de la plupart de ses collègues » aux services proposés par 23andme. Il a fait analyser son propre génome par cette société afin de juger de la qualité des tests et des explications fournies, et a été plutôt convaincu. Ainsi, il a découvert qu’ il était porteur sain du gène de la mucoviscidose et a conseillé à sa fille de se faire dépister ainsi que son mari ; s’ils étaient tous deux porteurs du gène, leurs enfant auraient eu 25% de risques d’être atteint de cette maladie grave ;  quelle que soit la décision que l’on prendra ensuite, c’est certainement un type d’information que l’on doit pouvoir connaître si on le souhaite. Il a aussi découvert qu’il possède un gêne de prédisposition à la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) ; le tabac constituant un facteur aggravant pour cette pathologie invalidante (cécité), il pourrait, s’il était fumeur, choisir d’arrêter ou de continuer. Enfin, le Pr  Mendel a appris qu’il avait une sensibilité accrue à la warfarine, un anticoagulant dont le surdosage conduit, et de manière assez fréquente,  à de graves accidents vasculaires ; c’est là une information extrêmement utile et utilisable qui, en cas de traitement doit conduire à une surveillance accrue et à des doses plus faibles.  Même dans le cas de la prédisposition à la maladie d’Alzheimer, pour laquelle il existe un gène (apoE4) qui entraine un risque multiplié par dix pour les porteurs de deux copies, même dans ce cas où il n’y a ni prévention ni traitement connus, le Pr Mandel souligne qu’un patient jeune peut préférer ne rien savoir ; mais qu’un patient âgé peut faire un choix différent afin de préparer sa vie et celle de ses proches en cas de problème. Après avoir hésité, il a choisi de connaître le résultat pour lui-même. Il souligne d’ailleurs que la présentation des résultats par la société23andme est extrêmement bien faite, informant les patients et les incitant à réfléchir avant de prendre connaissance de chaque résultat. C’est d’ailleurs là un des avantages de la formation médicale aux USA, qui comporte une part importante d’apprentissage au dialogue avec les patients ; et c’est ce qui manque en France, et qui changerait peut-être la vision de nombreux médecins français s’il bénéficiaient pendant leurs études d’une formation similaire.
Enfin, le Dr Mandel signale une des nombreuses absurdités de notre système ; pour la mucoviscidose, on juge non éthique d’offrir la possibilité aux parent de tester leur prédisposition ; mais, s’ils ont un enfant atteint, on autorise  (heureusement !)un test pré-natal pour les enfants suivants…
 
Une position intenable
 
La position française est intenable ; elle est légalement intenable, car  on peut d’ores et déjà prévoir le jour où un couple poursuivra l’Etat pour leur avoir refusé la possibilité d’être averti d’un risque de prédisposition ; ou, plus convaincant encore, la victime d’une embolie sous anticoagulant pour n’avoir pas eu accès à un test peu couteux et disponible qui aurait pu éviter cette tragédie ; elle est éthiquement intenable, car il n’est pas éthique de ne pas donner, lorsque la technique le permet, à ceux qui le souhaitent, le moyen d’éviter des malheurs ou même simplement d’en diminuer le risque par des choix de vie informés et librement consentis.
Oui, le Comité National d’Ethique va avoir beaucoup de travail,  et il serait urgent et bienvenu qu’il fasse un peu moins de place aux considérations religieuses et mandarinales, et qu’il en accorde un peu plus à la volonté d’être davantage maître et possesseur de sa vie, à la liberté et à la responsabilité que donnent le savoir et les évolutions techniques ; bref que, dans le domaine de la bioéthique, on sorte de l’infantilisation pour entrer dans l’âge adulte - c’est en quelque sorte l’âge des Lumières de la biologie. Y-a-til des problèmes ? Oui, et le moindre des problèmes, le moindre des scandales ne serait pas que le droit de savoir pour les patients se transforme en obligation de déclaration à des assurances, par exemple, à l’occasion d’un prêt…  avant que le CCNE n’ait accordé ce droit..
Et ce n’est pas tout…