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jeudi 29 janvier 2015

Perturbateurs endocriniens : interdiction et polémique




Un environnement inquiétant

Les perturbateurs endocriniens sont des produits chimiques qui peuvent interférer avec les hormones comme l’œstrogène, la testostérone ou les hormones thyroïdiennes. On les trouve dans les produits de consommation courante comme les aliments, les cosmétiques, les pesticides et les plastiques. Parmi eux, le plus célèbre, le bisphénol-A (BPA) est contenu dans les plastiques rigides, certains tickets de caisse ou le vernis intérieur des boîtes de conserve ; les phtalates, utilisés dans les parfums et le vinyl ; ainsi que certains pesticides et retardateurs de flamme. Ce sont des produits extrêmement répandus dans l’environnement.En 1996, le biologiste américain Von Saal montrait que, exposés in utero à des concentrations très faibles de BPA (20.000 fois inférieures à la plus forte concentration alors étudiée), les souris de laboratoire mâles présentent, une fois adultes, un appareil reproducteur affecté de malformations et dysfonctionnements. Depuis cette date, plusieurs milliers d’articles sont parus, suggérant, essentiellement à partir d’études cellulaires, un lien entre l’exposition au BPA et une « étourdissante variété de pathologies émergentes » : troubles du métabolisme (diabète de type II, obésité), et de la fertilité, malformations génitales, problèmes thyroïdiens, cancers hormono-dépendants (sein, prostate, testicules,), etc, troubles du comportement.  Des maladies en augmentations quasi-exponentielle- ainsi pour l’autisme : 1/5000 en 1975, 1/500 en 1995, 1/150 en 2005, 1/68 en 2014 !), sans que l’on en connaisse réellement la cause. Une telle augmentation a pour explication la plus probable (la seule ?) une origine environnementale. Là encore, les perturbateurs endocriniens sont des coupables très plausibles, parce que les hormones thyroïdiennes sont impliquées dans le développement de structures cérébrales complexes. Particulièrement troublante est également une érosion du QI des nouveaux nés et l’accroissement d’autres troubles comportementaux tels que l’hyperactivité : «  l’intelligence des prochaines générations est en péril ». Philippe Granjean, Le Monde, 3 dec.14). Pour compliquer les recherches,  il semble que les cellules humaines soit plus sensibles : ainsi, l’exposition au BPA de testicules réduit sensiblement la production de testostérone, et cet effet est environ 30 à 100 fois plus sensible sur le testicule humain que sur celui des rongeurs de laboratoire, rats et souris. Dans certains systèmes, l’effet toxique apparait non seulement à des doses très faibles, mais s’atténue à des doses plus élevées, ce qui n’est quand même pas très classique, empêche la fixation d’un seuil de sécurité, rend les études plus complexes, et pose de sérieuses questions d’interprétation, sur l’extrapolation à l’organisme entier, et sur l’effet final obtenu. (voir ci-après)

Bref,  d’un côté des endocrinologues, des biologistes, des pharmacologues convaincus et mettant en évidence une floppée (trop ?) d’effets des perturbateurs endocriniens dans leurs systèmes ; à l’autre bout, des épidémiologistes, des spécialistes de la néonatalité qui constatent une explosion de troubles certainement dus à des facteurs environnementaux, et qui correspondent assez bien aux effets mis en évidences par les biologistes. Et, entre les deux ? Des toxicologues renommés, dont la toxicologie est le métier, qui ne sont pas tous convaincus loin de là.

Procès en sorcellerie (bis)

La bataille a débuté cet été avec la publication, dans plusieurs revues savantes, d'une tribune dans laquelle dix-huit toxicologues (professeurs ou membres d'organismes publics de recherche) critiquent les mesures en discussion à Bruxelles. Très contraignantes pour de nombreux industriels, celles-ci seraient, selon les auteurs, des « précautions scientifiquement infondées ». Le projet en discussion, qui s’inspire largement des mesures déjà prises en France « est sans base scientifique,…défie le sens commun, la science bien établie et les principes de l’évaluation des risques ». Ils rappellent que le système endocrinien (les hormones) est perturbé en permanence, par des facteurs internes ou externes, et que c’est justement  son rôle biologique d’être perturbé de façon à maintenir l’homéostasie ( l’ensemble des conditions) de l’organisme en présence de facteurs changeants ; que la perturbation endocrine est un phénomène normal, et ne saurait constituer un effet toxicologique en soi ; qu’il faut donc distinguer entre des perturbations qui restent dans le domaine normal de fonctionnement, et des perturbations extraordinaires conduisant à des effets néfastes sur l’organisme entier ; qu’un produit ne peut être considéré comme toxique que s’il montre des effets néfastes dans un organisme animal ou humain entier, et non seulement dans des systèmes isolés dont la signification et la pertinence homéostatique n’est pas démontrée ; enfin, que ces études chez l’animal entier doivent permettre, selon le processus toxicologique normal, d’aboutir à  la détermination d’une relation effet-dose et d’un seuil.  Par ailleurs, ils critiquent aussi la formulation d’un document de travail affirmant que la pertinence des données (obtenues dans des systèmes animaux) chez l’humain  doit être supposée, en l’absence de démonstration qu’elles ne sont pas pertinentes. Ils soulignent la quasi-impossibilité logique d’obtenir une telle démonstration de non pertinence ; (sur ce coup-là, ça me semble assez facile d’admettre que la formulation du document n’est en effet pas très heureuse, mais que sur le fond, les données animales, compte-tenu, dans certaines expériences, de la plus grande sensibilité des tissus  humains, doivent être considérées comme inquiétantes…)

La parution de cette tribune a soulevé d’intenses protestations, mais ce qui est assez déplaisant, c’est le tour qu’elles ont pris sur le thème maintenant trop habituel des experts vendus à l’industrie. La guerre est déclarée ont même dit certains, « La science est devenue l'enjeu d'une guerre dont la plupart des batailles se jouent derrière la scène »,  la guerre des lobbies industriels contre des mesures qui menacent leurs intérêts.

Donc Daniel. Dietrich, rédacteur en chef, Chemico-Biological Interactions ; Bas Blaauboer, rédacteur pour l’Europe, Toxicology in vitro ; Jan Hengstler, rédacteur en chef, Archives of Toxicology ; Kai Savolainen, rédacteur pour l’Europe et le reste du monde, Human and Experimental Toxicology ; Nigel Gooderham, rédacteur en chef, Toxicology Research ; James P. Kehrer, rédacteur en chef, Toxicology Letters ; Alan L. Harvey, rédacteur en chef de Toxicon ; Gio Batta Gori, rédacteur en chef, Regulatory Toxicology and Pharmacology ;  et al., tous ces gens qui se font dénoncer, diffamer, insulter  sur des milliers de sites internet, et qui constituent une part importante du gratin mondial de la toxicologie, qui, à un moment ou à un autre, ont évidemment eu de nombreux contrats avec de nombreux industriels, seraient soit des imbéciles manipulés, soit des comploteurs malhonnêtes vendus à l’industrie ? Encore une fois, ces procès en sorcellerie sont inadmissibles, fascistes et, en matière de recherche, il faut réclamer liberté, liberté totale d’exposition, de discussion, d’appréciation et rappeler qu’aucun débat n’est possible si la bonne foi de l’interlocuteur est mise en doute

D’ailleurs, amis des complots, méfiez-vous de tout le monde ! ; s’il existe (peut-être) des industriels margoulins désireux d’influencer l’opinion pour protéger leur marché, il existe aussi (peut-être) d’autres industriels tout aussi margoulins prêts à agir dans l’autre sens et à proposer des substituts…pas encore évalués… qui seraient plus toxiques….

En attendant la vérité, agir quand même

Une vérité positive, scientifique s’établira un jour, intégrant toxicologie, pharmacologie, endocrinologie. C’est le devoir des scientifiques d’y travailler, des décideurs de leur en donner les moyens ; et la France, avec le plan national perturbateurs endocriniens a plutôt bien réagi. Les toxicologues qui se sont exprimés ont sans doute raison d’éprouver quelques doutes ; pour autant, devant l’ensemble des données, devant aussi la gravité de l’enjeu, il me semble qu’on ne peut pas attendre davantage.
Aux décideurs de décider, dans le doute relatif - sinon il n’y aurait pas besoin d’eux. Il me semble que la position française, assez rigoureuse, doit être défendue ; et notamment l’interdiction totale du BPA dans les contenants alimentaires  (biberons !!, et aussi conserves, canettes, vaisselle et bouteilles de plastique, ustensiles de cuisine). L’action résolue a déjà permis des résultats notables : l’exposition au BPA des femmes enceintes a été divisée par trois entre le milieu des années 2000 et 2011. Récompense de la vertu; si la France est suivie, et il faut espérer que ce soit le cas, d’autres pays européens étant sur la même ligne, ses industriels, qui ont fait un effort particulier et se sont imposés des contraintes inexistantes ailleurs auront un coup d’avance.

Mais pas besoin pour cela d’insulter les scientifiques de position adverse. NB : Ce billet doit beaucoup, comme bien d’autres, à la chronique Planète de Stéphane Foucart dans Le Monde (notamment By By BPA, 5 jan 2015) C’est incontestablement l’une des plus intéressante du domaine, même et surtout lorsque je suis en désaccord, au moins partiel ; il est très regrettable que sa périodicité diminue.
 

 

mercredi 28 janvier 2015

Cancer et hasard : un procès en sorcellerie


Un grand nombre de cancers dûs au hasard

La prestigieuse revue Science a récemment publié un article intitulé : Les variations dans le risque de cancer peuvent être expliqués par la propension des cellules souches à se diviser. Dans le chapeau de l’article, la revue affirmait : « Ces résultats montrent que seulement un tiers des variations dans le risque de cancer peuvent être attribuées à des facteurs environnementaux ou à des prédispositions héréditaires. La majorité est due à une mauvaise chance (bad luck) c’est-à-dire à des mutations au hasard de l’ADN durant la réplication de cellules normales, non-cancéreuses. Ceci est important, non seulement pour la compréhension de la maladie mais aussi pour déterminer les meilleures stratégies thérapeutiques et diminuer la mortalité due à cette maladie »

Dans le corps de l’article, les chercheurs, spécialistes reconnus, rappellent que, par exemple, il existe un facteur 24 entre les risques de cancer des différents tissus de l’appareil digestif (0.5% pour l’oesophage, 4.82 %pour le gros intestin, 0.2% pour le l’intestin grêle, 0.86% pour l’estomac, et que ces différences ne peuvent être expliquées par des différences d’exposition à des agents mutagènes. Bien plus, les cancers de l’intestin grêle sont trois fois moins fréquents que les cancers du cerveau, dont les cellules sont portant nettement moins exposées à des agents extérieurs. D’autre part, les prédispositions génétiques n’expliquent que 5 à 10% des cancers.

Comment expliquer ces variations de risque cancéreux entre les différents tissus ? Les auteurs montrent qu’il existe une excellente corrélation entre la vitesse à laquelle se reproduisent les cellules souches des tissus considérés et le risque de cancer, et cela constitue un résultat nouveau et vraiment convaincant. Ils en tirent deux conclusions : la première qu’une partie importante de l’incidence des cancers est due au hasard dans la réplication de l’ADN, et non à une prédisposition génétique ou à une exposition à un agent cancérogène ; 2) que pour ce type de tumeur, la prévention par des vaccins ou en changent de style de ou de régime n’est pas efficace, et que la prévention secondaire, c’est-à-dire le dépistage devrait être privilégiée.

La conclusion correcte est donc que pour les cancers qui ne sont pas évidemment causés par l’exposition au tabac (poumon), à l’alcool, à la lumière UV, au papilloma virus, à l‘amiante etc, une des causes principales semble être le simple hasard. Notons qu’il ne s’agit pas là d’une conclusion fortement originale, puisque c’était l’une des explications possibles de l’augmentation de l’incidence  des cancers avec le vieillissement. D’autre part, les spécialistes ont depuis noté que les grands mammifères, les baleines par exemple, bénéficie d’un génome mieux armé que le nôtre contre les cancers. Néanmoins,  cet article a suscité des réflexes assez inquiétants

 Ouverture de la chasse

Dans Le  Monde du 07.01.2015 (Non, le cancer n’est pas le fruit du hasard), une sociologue de l’Inserm affirme que « le message selon lequel le cancer serait essentiellement le fruit du hasard constitue une aubaine pour les industriels de l’amiante, de la chimie, des pesticides, du nucléaire, du pétrole et j’en passe… » Après une discussion assez infantile sur la différence entre corrélation et causalité, elle affirme : « le cancer est évitable, à condition d’éradiquer les cancérogènes en milieu de travail, dans l’environnement et la consommation. Pourtant, dans le champ de l’épidémiologie, des chercheurs s’obstinent à produire des modèles statistiques dénués de sens par rapport à la réalité dramatique du cancer (NB quelle compétence a-t-elle pour en juger ?) L’outil mathématique utilisé pour cette production de l’incertitude donne à la démarche l’apparence de la rigueur, de l’objectivité, pour tout dire de la science. Surtout, cela rend quasi impossible l’échange et la discussion entre, d’une part, les travailleurs et citoyens, victimes de cancers associés à l’exposition aux substances toxiques, et, d’autre part, les scientifiques qui jonglent avec les chiffres, abstraits et anonymes, de milliers de cas de cancers ». Puis elle met en cause les liens  entre les scientifiques auteurs de l’étude et « un magnat américain du transport maritime qui fut le promoteur des supertankers, mais aussi de la déforestation en Amazonie brésilienne » ???

Qu‘il  y ait des cancers dus aux habitudes de vie, à l’exposition aux mutagènes et cancérogènes au travail ou ailleurs, c’est certain, et ils sont bien connus. De là à affirmer qu’à tout cancer, il faut un coupable, de préférence un industriel malfaisant, et que les chercheurs qui s’efforcent de comprendre les causes de cette maladie ( seule une fraction des cancers sont bien compris) sont les complices de ces méchants  industriels et insultent les malades, nous sommes là dans une mise en cause inacceptable, et qui a ses conséquences : si la majorité des cancers sont dûs au hasard, la meilleure prévention est en effet le dépistage précoce des tumeurs.

Cette position a été soutenue en partie par Stéphane Foucart, du Monde, d’habitude mieux inspiré et plus pertinent (Le Monde, 13/01/2015). Il écrit que « l’étude a été présentée au public comme une sorte de blanc-seing accordé aux pollueurs de tout poil », et signale que l‘auteur principal, Bert Vogelstein, dont il reconnait tout de même qu’il s’agit d’un oncogénéticien renommé (en fait, il n’est rien moins que le spécialiste le plus cité dans ce domaine) a été, au début de sa carrière, financé par l’argent du tabac…

 Liberté d’exposition, de  discussion, d’appréciation

 On peut (on doit certainement) critiquer la tendance des revues scientifiques aux chapeaux sensationnels- mais sinon la presse y prêterait-elle attention ? . On peut, on doit certainement appeler les journalistes scientifiques à s’efforcer de rapporter au mieux l’actualité scientifique, mais après tout qui s’y intéresserait sans un titre accrocheur ? Au moins, ceci peut inciter au débat, et dans le corps de l’article, les journalistes devraient veiller à apporter une vue critique et équilibrée.

Mais ce climat incessant de suspicion généralisée, de mise en cause violente lorsqu’un résultat ne semble conforme à la vue  politiquement correcte, commence à ressembler à une chasse aux sorcières, à un phénomène de meute inadmissible, insupportable, qui atteint la liberté totale d’exposition, de  discussion, d’appréciation nécessaire à la recherche scientifique. Faudra-t-il en venir à des procès en diffamation ou pour insulte ?

Et dans le domaine de la santé, cette idée qu’à tout malheur il faut un coupable est décidément malsaine et bien dangereuse.

mardi 27 janvier 2015

Le progrès prouvé par les armes chimiques


La marche vers l’horreur

L’Actualité chimique de décembre 2014 consacre un dossier intéressant aux armes chimiques. La réglementation de l’emploi des armes chimiques a une longue histoire, puisque trace en ait déjà trouvé en 1675 Dans l’accord de Strasbourg entre la Prusse et la France interdisant l’emploi de balles empoisonnées. En 1907, à la conférence internationale de la Paix, à La Haye, 44 pays adoptent des Lois de la Guerre interdisant notamment « de lancer des projectiles et des explosifs du haut de ballons, ayant pour but unique de répandre des gaz asphyxiants ou délétères ».

Dès octobre 14, la guerre prend l’aspect d’une guerre de tranchée, et les gaz paraissent efficaces pour déloger les combattants de positions autrement quasi-inexpugnables. La vérité officielle, établie après la guerre, en 1920, lors d’une conférence dit ceci : «  C’est le 22 avril 1915 qu’au mépris des engagements internationaux de La Haye, les Allemands employèrent pour la première fois, sur une grande échelle, dans la région d’Ypres, les gaz de combat sous forme de nappes » (précisément 150 tonnes de chlore dans 5830 cylindres sur un front de 6 km). Les Allemands pouvaient faire valoir qu’ils n’avaient stricto sensu pas contrevenu au traité de La Haye…). De toute façon,  le fait est que les Français, par exemple, employèrent, dès les premiers jours de combat, des cartouches  et des grenades suffocantes, au bromoacétate d’éthyle ou à la chloroacétone. L’historien Lepick a dénombré 409 attaques massives au gaz en nappes : 301 pour la Grande Bretagne, 51 pour la France, 50 pour l’Allemagne, 6 pour la Russie, 1 pour l’Autriche. Le moins qu’on puisse constater, c’est que l’horreur fut largement partagée. Les produits employés furent le Chlore, puis le Phosgène, plus toxique, inodore et aux effets retardés. Furent ensuite employés par les différents protagonistes des obus chargés de lachrymogène (bromoacétone, bromure de xylyle, cyanure de bromobenzyle, arsines sternutatoires, puis ypérite.

En 1922, la Conférence de Washington  sur les armements maritimes interdit l’utilisation de gaz toxiques. Elle est suivie par la Protocole de Genève de 1925, déposé en France qui prohibe l’utilisation des gaz toxiques, asphyxiants ou similaires ; l’utilisation, mais pas le stockage, ni la riposte en cas de première utilisation par l’adversaire. Les armes chimiques continuent donc à se développer et apparaissent les neurotoxiques comme le tabun le sarin ou le zyklon B. Elles ne seront cependant pas utilisées pendant la Seconde Guerre mondiale, sauf pendant la guerre sino-japonaises, mais on sait l’usage qu’en feront les criminels nazis. Après la guerre, lors de la guerre froide, les deux principales puissances continuent à concevoir des armes chimiques encore plus puissantes (agents VX, VR, autres toxines. L’idée s’impose progressivement qu’elle ne seront pas utilisées et qu’il vaudrait meiux les détruire

La longue marche vers l’interdiction et le Prix Nobel

En 1968-1971, dix-huit Etats constituent un Comité sur le désarmement et se proposent d’interdire les armes biologiques et chimiques. C’est en 1983 l’utilisation d’armes chimiques par l’Irak (lors de la guerre Irant Irak, puis contre les Kurdes), qui incite en 1984 l’URSS et les USA  à conclure un accord bilatéral qui sera ensuite étendu à d’autres nations. En 1992 est finalement proposé la CIAC, (Convention sur l’interdiction des armes chimiques) qui interdit la mise au point de nouveaux composés, et met en œuvre le contrôle du stockage, la destruction des stocks et des installations de fabrications, l’assistance à la destruction et la protection des Etats signataires. Les Etats parties se déclarent « résolus, dans l’intérêt de l’humanité tout entière, à exclure complètement la possibilité de l’emploi des armes chimiques ». La CIAC entre en vigueur fin 1996 avec la signature par 87 Etats ; en 2013, c’est 190 Etats sur 186 qui ont signé et ratifié la CIAC ( manquent encore l’Angola, l’Egypte, la Corée du Nord et la Somalie, 2% de la population mondiale).

Apparait alors l’OIAC, l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques, chargé de la mise en œuvre de la Convention, qui comprend 500 fonctionnaires dont 200 inspecteurs. Sont surveillés les armes chimiques elles-mêmes, les précurseurs utilisés en faible tonnage, (tableau2), les précurseurs utilisés en fort tonnage, avec pour difficulté qu’un produit comme le dichlorure de soufre est utilisé par tonnes pour fabriquer des lubrifiants ou vulcaniser le caoutchouc. Environ 3400 composés chimiques sont ainsi surveillés à l’échelle internationale.

Un rôle particulier de l’OIAC consiste à enquêter sur les allégations d’emploi d’armes chimiques, sur le terrain. Ce fut notamment le cas en Syrie en 2013, où les armes chimiques ont été employées sans doute pour la dernière fois dans un conflit , et ont fait un peu plus d’un millier de morts. L’indignation générale, l’accord imposé par les US et la Russie sur la destruction du stock syrien permit à l’OIAC de démontrer son efficacité et son savoir-faire.

Cette action fut récompensée par un Prix Nobel de la Paix en 2013. C’est une longue, obscure mais efficace  action qui a été ainsi récompensée, et qui est presque terminée. Lors de la cérémonie, le Directeur Général Ahmet Uzumcu, ne lâcha pas le morceau : il fit remarquer que le succès n’était pas encore complet, que la date d’avril 2012 pour la destruction de toutes les armes chimiques déclarées n’avait pas été respectées, qu’il en restait encore 20%, principalement américaines et russes, et que les deux grands pouvoirs, si désireux de voir les autre pays détruire leur stock, se devaient de s’appliquer à eux-mêmes la même hâte : « Please speed up the process ! »)

Quand les armes chimiques déclarées ou non seront réduites, il restera à mettre en place une surveillance efficace de toutes les installations civiles sensibles et des flux de produits pour empêcher des terroristes de fabriquer eux-mêmes des armes chimiques.

Mais le monde s’approche bien près du but de la CIAC et de l’OIAC : la disparition totale des armes chimiques. Un progrès a eu lieu, pour toute l’Humanité

Josette Fournier, Actualité Chimique, décembre 14 ; Jean-Claude Tabet, Actualité chimique, décembre 14

lundi 26 janvier 2015

Philippe Aghion : Les pays développés sont-ils condamnés à une croissance lente ?


(Amphis de l’AJEF, Mercredi 21 janvier 2015)
Croissance lente, mais croissance quand même
Rapidement : la réponse est oui. A une croissance lente, mais, pour peu que les gouvernements écoutent les bons économistes, une croissance tout de même. M. Aghion ne croit pas à un arrêt séculaire de la croissance. Jamais les économies n’ont été aussi connectées, les relations entre les pays s’accroissent, jamais les idées n’ont autant circulé, les collaborations internationales sont de plus en plus faciles. Et il existe de nombreux besoins, dans les pays non encore développés, dans la santé, surtout dans la transition énergétique et la fin des énergies carbonées – qu’il faudra bien un jour remplacer.
Nous ne retrouverons pas en Europe les taux de croissance des « trente glorieuses », tout simplement parce qu’elles correspondaient à une période de rattrapage industriel de l‘Amérique. De même, les taux de croissance diminueront dans les pays qui, comme la Chine ou l’Inde, achèvent leur phase de rattrapage sur l’Europe. Nous devrons apprendre à vivre et prospérer sur le front de l’innovation, dans une économie de la connaissance et de l’innovation. Certains pays, les pays rhénans (Allemagne, Pays-Bas) et scandinaves sont bien avancés dans cette voie, d’autres ont jusqu’à présent échoué ( le Japon), d’autres enfin, - la France devraient s’y mettre rapidement…
Ces pays qui ont réussi à entrer dans l’économie de la connaissance et de l’innovation n’ ont pas connu de recul du PIB par tête, ni de baisse du taux de marge des entreprises et de la R&D privée, ni de dégradation de l’école illustrée par la baisse des résultats aux tests Pisa, ni d’augmentation des inégalités sociales – tout le contraire de la situation française qui devient inquiétante. Philippe Aghion insiste particulièrement sur une  réforme de l’école qui se concentrerait sur trois points : la qualité des maîtres, leur formation continue, et le tutorat pour s’assurer que les élèves suivent - des éléments qui font le succès du système finlandais notamment.
Philippe Aghion invite aussi le gouvernement à s’ engager sur une vraie réforme de la formation professionnelle, dont on sait que l’essentiel des fonds sert à financer les organisations syndicales et patronales. Le système allemand est plus efficace : les salariés reçoivent un chèque formation et ils choisissent eux-mêmes l’organisme où se former
Des aberrations fiscales  (contre Thomas Picketty)
Philippe Aghion insiste sur le fait qu’on ne peut plus supposer, comme le font certains, que le poids de la fiscalité n’a pas d’effet négatif sur l’innovation et la croissance. Les effets positifs de la baisse fiscale de 1991 en Suède sont là pour le prouver. L’impôt ne doit plus être considéré comme l’outil principal pour réduire les inégalités ; il vaut mieux jouer sur la formation initiale,  la formation professionnelle, la mobilité du travail favorisée par la flexisécurité, la concurrence sur le marché des biens (parmi les pays de l’OCDE, la France est celui où ce marché est le plus réglementé). Il est donc favorable aux lois Macron, qu’il ne trouve pas assez ambitieuses. Pour renforcer la compétitivité, il est partisan de basculer une partie des cotisations sociales des entreprises vers la TVA (« TVA sociale ») à condition de moduler les effets selon que les produits sont de première nécessité ou non.
Philippe Aghion est donc contre toute hausse de la fiscalité, contre la taxation à 70% du capital notamment, et considère que cette position est validée par  les changements de la politique fiscale suédoise. S’il salue la partie historique du travail de Picketty sur l’augmentation des inégalités, il souligne que rien dans les données accumulées et étudiées par Picketty ne conforte sa théorie selon laquelle les revenus du  capital devraient être taxés comme les revenus du travail. Il rappelle que Le capital c’est de l’épargne, donc un revenu qui a déjà été taxé. Surtaxer l’épargne, c’est prendre le risque de la décourager. Il  faut aussi distinguer entre capital de rente (immobilier) et capital productif, celui qui finance l’innovation. On ne peut pas les traiter de la même manière, sauf à vraiment décourager l’investissement dans l’innovation.  Quant à la fusion IR-CSG, c’est une mauvaise idée pour au moins trois raisons. La CSG est un impôt qui sert à financer la protection sociale. Il est bien accepté, il a une assiette large et non mitée. Tandis que l’IR est un impôt affecté à l’Etat, mal accepté, d’un faible rendement car rogné par toutes sortes d’exonérations. Si l’on fusionne les deux, on risque de contaminer le bon impôt par le mauvais. Pire encore, si la CSG devenait progressive, ce serait un coup de massue sur les classes moyennes.
Compétition et innovation
En matière de politique industrielle, Philippe Aghion s’affirme Shumpeterien, et partisan de la libre concurrence et de la destruction créatrice, les salariés devant être protégés par une bonne mobilité sociale et professionnelle qui constitue leur seule vraie  assurance. Il trouve que la politique industrielle esquissée avec les nouvelles filières est à la fois beaucoup trop colbertiste et trop saupoudrée (34 filières c’est excessif).  Il faut plutôt sélectionner quelques grands secteurs porteurs de croissance – le numérique, les énergies renouvelables – et favoriser la concurrence au sein du secteur ; et surtout ne pas privilégier une entreprise, comme Arnaud Montebourg l’a fait en prenant parti pour Bouygues contre Numericable. Pour lui, la politique des champions nationaux est caduque, car caractéristique des phases de rattrapage.
Schumpeter affirmait que l’incitation principale à innover consistait en l’espoir d’acquérir une rente de monopole. Si c’est le cas, pourquoi vouloir briser artificiellement, par la contrainte réglementaire,  les monopoles qui se forment ? Philippe Aghion reconnaît l’existence d’une courbe en U et d’un point au-delà duquel la compétition défavorise l’innovation, mais considère que nous ne sommes pas dans cette situation. Je n’en suis pas sût du tout, au moins dans certains secteurs, et je pense que se fixer comme  seul objectif la concurrence libre et non-faussée  peut bel et bien avoir des conséquences négatives sur l’innovation. Je reviendrais sur cette question. 
 

 
 

mercredi 7 janvier 2015

Eric Sartori Activité 2014


Le Socialisme d'Auguste Comte, aimer, penser, agir au XXIème siècle, l'Harmattan 2012
             toujours disponible
Participation au salon du livre Polytechnicien (Magnan 2014) et débat avec Thierry Gaudin (X59), Philippe Herzog (X59) : Positivisme et Optimisme
Publications liées :
La religion de l'humanité de Frédéric Harrison. Positivisme contre ploutonomie   Revue du MAUSS 2014/1 (n° 43)
Les Positivistes et la Chine, Monde chinois, 2014/4 (N° 40) p.152
Histoire des Grands Scientifiques français, Plon, 1999. Edition originale épuisée, la réédition en format de poche (Tempus, 2012) se vend bien
Dernière présentation: Aux scientifiques, la Patrie Reconnaissante, France Culture, la Route des sciences, 10 octobre 2013
L’Empire des Sciences, Napoléon et ses savants, Ellipse, 2003 : le livre a été réédité par Ellipses dans une nouvelle collection de poche (Ellipses Poche, 2015)
Dernière présentation : Radio Campus, les labos de l’histoire, Napoléon, la Science et les Savants, 1er septembre 2014 (http://www.radiocampusparis.org/2014/09/les-labos-de-lhistoire-5-lempire-des-sciences)
Histoire des femmes scientifiques de l’Antiquité au XXe siècle, Plon, 2006 : épuisé depuis plus de trois ans.  
La bonne nouvelle est que Plon envisagerait en 2015 une réédition en format Poche ( Tempus?)
L’ouvrage a notamment été mentionné dans Les Cahiers de Science et Vie, Janvier 2015, Recluses dans leur savoir, Pascale Desclos