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dimanche 28 septembre 2014

Epigénétique, la nouvelle frontière de la biologie


Le nouveau cycle de la remarquable émission de « sur les épaules de Darwin », de Jean Claude Ameisen s’est ouvert par deux émission consacrées à l’épigénétique. A juste raison : il s »agit là d’une nouvelle frontière de la biologie, qui fait exploser un peu plus  le dogme central de la biologie et de l’évolution, celui d’une simple transmission d’information par l’ADN, sans intervention du milieu et de la non-hérédité des caractères acquis. Les modifications épigénétiques ne sont pas des mutations de l’ADN, mais des modifications plus ou moins réversibles de la façon dont celui-ci est utilisé – certains gênes pouvant être par exemple rendus inactifs ; ces modifications peuvent être héréditaires, mêmes si elles ont moins définitives, moins stables que des mutations. Avec la découverte, la compréhension et l’étude de l’épigénétique, nous entrons dans la l’ére de la fin de la distinction absolue entre inné et acquis, l’ére de l’étude des interactions entre les gênes et l‘environnement.

Phénomènes anciens, découvertes nouvelles et spectaculaires

A vrai dire l’épigénétique était connue, présente sous nos yeux depuis longtemps. Ainsi, on sait bien que toutes les cellules de notre corps ont le même ADN, pourtant elles l’expriment (l’utilisent) différemment selon les tissus qu’elles forment. Les mécanismes épigénétiques existaient donc, et un exemple connu depuis des millénaires nous en montrait l’importance : dans une ruche, un même embryon d’abeille se développera en reine ou en ouvrière selon la nourriture qu’il reçoit. Reines et ouvrières ont le même ADN, la différence dans la manière dont elles l’utilisent provient d’une « empreinte » embryonnaire différente liée à l’alimentation.

Les découvertes nouvelles les plus impressionnantes,  expliquées par M. Ameisen concernent l’hérédité des modifications épigénétique, leur mise en évidence chez les mammifères, la nature et la vérité de leurs effets.

Ainsi, chez le vers Caenorhabditis elegans, organisme modèle en biologie, une modification épigénétique permet un allongement de la vie d’un tiers. Cette modification se transmet sur environ trois générations, puis disparait. Des expériences menées chez la souris ces dernières années sont encore plus impressionnantes.  Ainsi des stresse de séparations vécus par des souriceaux dans leur enfance se traduisent à l’état adulte par un comportement plus agressif et des concentrations en neuromédiateurs différentes dans certaines régions du cerveau ( l’hippocampe). Ces phénomènes sont transmis sur au moins deux générations.

Plus étrange, car plus artificiel,  des souris conditionnées dans leur enfance pour trouver désagréable l’odeur sucrée de l’acétophénone (ce qui se traduit par un comportement d’immobilisation) transmettent cette aversion à leurs descendants sur deux générations. Ainsi, des souris manifestent une impression de « déjà senti » qui renvoie à une expérience vécue par leurs grands parents…

Les modifications épigénétiques peuvent se produire in utero. Ainsi, il existe des souris naturellement anxieuses. Lorsqu’on implante chez ces souris un embryon de souris normales, les souris qui naissent manifestent un comportement anxieux, et vice-versa. Ici, l’épigénétique l’emporte sur le génétique, ou du moins l’influence, et, comme le fait remarquer M. Ameisen, une mère porteuse ne fait pas que porter, mais transmet aussi. Dans ce cas, la modification épigénétique est liée à la façon dont un gène particulier, celui qui code les récepteurs glucocorticoïdes  est activé ou réprimé.

Autre exemple, plus pertinent concernant les maladies humaines : un régime saturé en graisse chez une souris mâle induit un diabète chez ces descendants, au moins pour la première génération.

Comme le disait le grand Auguste (Comte évidemment : « les vivants sont de plus en plus gouvernés par les morts… et, ce au-delà de ce que nous pensions, au-delà de la simple génétique.

Un nouveau domaine pour la médecine

L’homme a déjà été confronté pour son malheur à l’épigénétique. On savait que la prise de distilbène, un  produit utilisé dans les années 50 à 70 pour empêcher les naissances prématurées, étaient atteint de malformation des voies génitales, d’infertilité et d’un risque accru de cancer pour les filles. Des malformations sont également observées (transmises) à la deuxième génération. Le distilbène fait partie des perturbateurs endocriniens, et ce type de composés, très répandu dans notre environnement, est possiblement impliqué dans diverses maladies ou phénomènes (diabète, obésité, cancer, pubertés précoces), et sans doute par des mécanismes épigénétiques.

De plus en plus de mécanismes épigénétiques sont connue et des médicaments sont développés pour agir sur ces cibles : méthylation de l’ADN, acétylation des histones ( ces protéines qui entourent l’ADN et rendent les gênes plus ou moins accessibles, bromodomaines des histones. Déjà des inhibiteurs d’histone déacétylase sont utilisés dans le traitement de certains cancers. C’est tout un domaine de la thérapeutique qui s’ouvre, et, bien plus encore, tout le domaine de l’interaction entre l’environnement et le génome, avec notamment la compréhension de l’action des perturbateurs endocriniens.

Au fait, où en est-on pour la fixation d’un plan médicament en France et en Europe, pour le financement de la recherche en un domaine, la santé, dont nous pouvons encore d’attendre d’immenses progrès bénéfiques, et qui n’apparait trop souvent que comme une charge… alors qu’il s’agit, par excellence, d’un investissement d’avenir – surtout quand il touche à la génétique et à l’épigénétique ?

lundi 22 septembre 2014

Les plaies de la recherche – ce que veulent les chercheurs


En 2012 ont eu lieu des Assises nationales de l’Enseignement et de la Recherche, heureuse initiative pour recueillir l’avis des chercheurs sur l’état actuel de la recherche, les problèmes qu’ils rencontrent et les solutions qu’ils proposent. Le bilan de l’action des précédents gouvernements était assez sévère, mais, me semble-t-il juste : « Conçues sans concertation et conduites  dans l’urgence, les politiques menées ont fait courir des risques majeurs aux établissements et ont accentué dangereusement les déséquilibres territoriaux. Dans le même temps, il n’a pas été répondu aux questions fondamentales que sont la place et l’organisation de la recherche, la réussite des étudiants, la reconnaissance du doctorat, la condition des chercheurs et des enseignants-chercheurs et le rôle des territoires.

L’autonomie des Universités a été proclamée haut et fort, mais, dans les faits, certaines ont été mises sous tutelle. De nouvelles agences et alliances censées garantir de meilleurs équilibres entre les Universités et les organismes nationaux ont de fait souvent compliqué, alourdi et opacifié le système de l’enseignement supérieur et de la recherche,  ainsi que sa gouvernance. Enfin les procédures de gestion de la recherche ont été inutilement complexifiées, sans se traduire par davantage d’efficacité scientifique ou d’équité territoriale. »

Parmi les propositions avancées par les chercheurs :

Encourager les mobilités entre les différents statuts de chercheur, d’enseignant chercheur, ou d’employé d’autres secteurs du monde socio--économique.

Il faut noter la louable volonté des participants aux Assisses de ne plus accepter que l’on joue l’Université contre les Instituts de Recherche, et la Recherche publique contre la Recherche Privée. Ainsi, le CNRS se trouve qualifié d’ « organisme de recherche pluridisciplinaire d’exception ». Le CEA « occupe un rôle majeur sur l’ensemble des sujets liés aux énergies » et  « possède une culture de la recherche technologique et une culture de l’innovation au plus haut niveau mondial » ; sont aussi cités l’Institut Pasteur, l’Institut Curie, les sciences et les technologies du numérique avec l’INRIA, l’agriculture et l’alimentation avec l’INRA et aussi le CIRAD, l’environnement et l’agriculture avec l’IRSTEA, l’aéronautique et le spatial avec l’ONERA et le CNES, les sciences de la terre avec le BRGM, la mer et son exploitation avec l’IFREMER, le génie urbain, les transports, les infrastructures avec l’IFSTTAR. La recherche industrielle aussi est mentionnée favorablement : « Certains laboratoires sont au top niveau de la recherche, citons ceux de Thales, EADS ou Safran, Alcatel, EDF, Schneider, PSA ou Renault, Michelin, Valeo, Saint-Gobain, Sanofi, L’Oréal, Air Liquide, Total. Il faut ajouter à cela les milliers de jeunes pousses innovantes, de petites et moyennes entreprises innovantes, dans l’industrie pharmaceutique encore ». Du coup, les chercheurs du public approuvent le Crédit d’impôt Recherche : « Il faut observer que si le pourcentage des dépenses intérieures pour la recherche et le développement (DIRD), par rapport au PIB, est bien inférieur au fameux objectif dit de Lisbonne (de 3%), cela est dû en premier lieu à la part de la dépense privée qui est insuffisante. La dépense privée pour la recherche et le développement en France est donc faible. Réduire le Crédit Impôt Recherche n’est donc sans doute pas une direction à prendre, en revanche il faut s’assurer de son efficacité à remplir les objectifs affichés ». Et ils voient très positivement les occasions de collaboration avec le privé : « Rien n’est plus bénéfique pour renforcer la coopération entre les entreprises et les laboratoires académiques que d’encourager des échanges de chercheurs ou les mobilités entre les deux mondes, pour des périodes de temps adaptées au projet. La réunion de ces deux intelligences, celle de la recherche académique et celle de la recherche orientée, est très fructueuse. En particulier, pour un laboratoire académique, comprendre l’intelligence industrielle, la posture et la tournure d’esprit de l’innovation, le souci de la brevetabilité ou du marché est absolument stimulant et enrichissant pour toutes les recherches quelles qu’elles soient. L’encouragement de ces mobilités est d’abord un travail de simplification des tracasseries administratives ou de nettoyage des handicaps de carrières consécutifs à ces mobilités ».


Faire reconnaître le doctorat dans les grilles de la haute fonction publique, et dans les conventions collectives des branches professionnelles. Prendre en compte le doctorat dans les concours d’accès à la fonction publique et inscrire à terme (10 ans) un quota minimal de docteurs dans les grands corps de l’Etat.
 

« Chez nos cadres dirigeants le taux de docteurs est faible, comme nulle part au monde. C’est regrettable pour nos entreprises et leur culture de la recherche, c’est regrettable pour la formation de nos élites en général… Nous proposons de modifier l’arrêté du 7 août 2006 relatif aux écoles doctorales pour encourager la présence de représentants du monde socio-­‐économique et augmenter la proportion de doctorants dans leurs conseils : le conseil d’école doctorale pourrait comprendre par exemple un tiers de doctorants, un tiers de représentants du monde socio-­‐économique, un tiers de chercheurs ou enseignants chercheurs de l’établissement ou non ».

L’Allemagne nous est souvent présentée comme un modèle (à mitiger peut-être lorsqu’on lit les aventures professionnelles de diplômés français en Allemagne). Or, il y a longtemps qu’en Allemagne, pour toutes les grandes fonctions du privé comme de l’Etat, un doctorat (souvent plus proche du doctorat d’exercice que de la thèse d’Université) est quasiment imposé.


Revaloriser les débuts de carrière des chercheurs, enseignants chercheurs et personnels titulaires d’un doctorat et mieux prendre en compte les années après thèse dans la reconstitution de carrière pour tous les personnels. Résorber la précarité de l’emploi dans l’enseignement supérieur et la recherche. Aller progressivement vers un recrutement plus près de l’obtention du doctorat.


La condition matérielle des jeunes chercheurs est indigne, le manque de poste, les post-docs à répétition avant de trouver un poste, et il ne faut pas s’étonner du manque de candidats,  dans les écoles d’ingénieur en particulier. A force de maltraitance, c’est la qualité de la recherche française qui est en péril

Les Assises, si elles ont rappelé la responsabilité de la montée des contrats ANR précaires, ont justement souligné une responsabilité plus large : « Chacun doit balayer devant sa porte avec honnêteté. A discuter avec les porteurs de projet sur le terrain, nous sommes effarés de constater qu’ils n’ont la plupart du temps aucune connaissance des opportunités d’insertion professionnelle des personnels qu’ils recrutent. Cela pose de façon crue la question de la responsabilité sociale des universités et des organismes de recherche…  Un chercheur qui a accumulé de nombreux contrats à durée déterminée, dans des établissements variables, peut se retrouver dans une situation très délicate sur le marché du travail. La précarité ne concerne pas que l’accumulation des contrats successifs, elle englobe également des pratiques en contradiction avec le droit du travail, telles que les vacations abusives ou l’activité en fin de thèse ou après un contrat, activité « financée » par les allocations de retour à l’emploi ou tout simplement non financée. Pour ce qui concerne la résorption de la précarité immédiate, la seule solution est un plan pluriannuel de recrutement de chercheurs et d’enseignants chercheurs »

Redisons-le : à force de maltraitance des jeunes chercheurs, c’est la qualité de la recherche française qui est en péril. Aller progressivement vers un recrutement plus près de l’obtention du doctorat ? Non, pas progressivement, rapidement !

L’habilitation à diriger des Recherches (HDR) a été aussi discutée, sans parvenir à un accord. Mais le rapport rappelle l’hypocrisie selon laquelle il faudrait un diplôme de plus pour encadrer des chercheurs…alors que le fait d’avoir encadré des recherches est souvent jugé nécessaire pour l’obtenir.

Remplacer en deux ans un grand nombre d’entités existantes (labex, RTRA, GIS, equipex, etc.), ayant toutes pour objectif de faire coopérer des équipes de manière transverse aux unités de recherche, par un seul outil cooperatif--type simple, léger et sans personnalité morale, doté d’un conseil scientifique et le cas échéant pédagogique : le Groupement de Coopération Scientifique


Ah ben oui ! Plus personne - les chercheurs pas plus que les autres - n'est capable de s'y retrouver dans la jungle de sigles et d'acronymes qu'est devenue au fil des ans et des lois le paysage français de la recherche… Et, en plus, ça devrait permettre des économies.


Augmenter les soutiens de base des laboratoires. Permettre l’allongement de la durée des projets ANR à 5 ans et augmenter en proportion le volume de financement des projets. Limiter la prolifération des projets. Alléger les procédures de soumission des projets ANR en construisant une procédure en deux temps.

 

« Nous recommandons un rééquilibrage entre les financements de base et les financements sur projets. De très nombreuses contributions aux Assises sont allées dans ce sens. Il faut réévaluer le financement de base simplement pour permettre à chacun de travailler : il est économiquement douteux de rémunérer des chercheurs sans les mettre en situation minimale pour produire. Nous souhaitons aussi que l’ANR évolue, de manière à limiter le taux d’échec dans les appels à projet, taux d’échec devenu tellement important (près de 80%) que les chercheurs passent trop de temps à écrire des projets ou à les évaluer, au détriment du temps consacré à leur recherche. Nous proposons donc d’allonger la durée des contrats, de limiter la prolifération des projets »

Il s’agit là probablement du  problème le plus grave et le plus facile à résoudre de la recherche française, qui n’exige aucun moyen supplémentaire ; simplement un rééquilibrage important de la recherche finalisée vers le financement de base des équipes. Ces dernières années, une part  excessivement importante de la recherche a été basculée en financement finalisé sur des programmes ANR. Les chercheurs ont passé un temps fou et inutile (inutile à plus de 80%) à remplir des documents, vendre des projets à l’ANR, évaluer ceux de leurs collègues. Et pour clore le tout, et comme tout le monde sait ce que ce n’est pas raisonnable… alors on a inventé les programmes blanc ANR, les programmes sans programmes.

Les plus grands chercheurs internationaux, ceux qui ont fait la renommée du CNRS, dans tous les domaines, n’ont cessé d’expliquer que, certes le CNRS payait mal en comparaison de ses homologues étrangers, mais que ce qui le rendait attractif, c’était la liberté qu’il laissait aux chercheurs. Nous avions un avantage compétitif  étranger au système anglo-saxon, il était urgent que nous nous en privions…

Les plus grands scientifiques, en particulier Edouard Brézin, Président de l’Académie des Sciences, n’ont cessé de le répéter : ce n’est pas en perfectionnant la bougie qu’Edison a inventé la lampe à incandescence. La recherche fondamentale, il n’y a que les organismes publics qui puissent la mener, et c’est  leur contribution principale et originale à l’innovation, à  la compétitivité d’un pays et de ses industries. Sans recherche fondamentale, pas de valorisation ; et il vaut mieux que la recherche publique fasse ce qu’elle sait bien faire, et qu’elle est seule à pouvoir faire, plutôt que de s’efforcer de faire de la recherche appliquée, parfois non applicable.

Le rapport se conclut par cet espoir : « les années qui viennent doivent être celles d’une nouvelle hiérarchie des valeurs au sommet de laquelle la science, la recherche, l’intelligence, la volonté d’apprendre et de transmettre seront les vertus les mieux reconnues et les plus respectées ». Les Assises ont eu lieu, mais elles n’ont servi à rien, ignorées, même en leurs préconisations les plus faciles à mettre en œuvre, par une ministre inexistante. Les chercheurs en sont, je crois, bien déçus… en attendant la colère.

mardi 16 septembre 2014

Plaidoyer pour la Chimie


Je m’étonnais depuis quelque temps du nombre de firmes ukrainiennes et russes dans le domaine de la chimie, qui vendent notamment des composés élaborés pour la recherche, des chimiothèques,  de bonne qualité. La réponse à l’énigme se trouve dans le no de juin 2014 de l’Actualité Chimique, à travers un article sur les Olympiades Internationales de Chimie. La France y inscrit bon an mal an 250 candidats, contre 10.000 pour les USA, 250. 000 pour l’Ukraine, et 500.000 pour la Russie.

L’engouement pour la Chimie (qui commençait autrefois avec les mallettes de petit chimiste, (avant qu’on ne puisse plus rien y mettre d’excitant pour cause de réglementation) semble avoir largement quitté la France pour prospérer ailleurs. Pourtant, ce fut assez largement une science française, fondée dans sa version moderne par Lavoisier.

Alors, pour redonner du baume au cœur aux professeurs de Chimie, ces citations de deux disciples de Lavoisier :

Fourcroy 1800, dans son Tableau synoptique de chimie, qui se lance dans un éloge de la  chimie médicinale : « La Chimie… découvrira la nature et la composition des matières animales. Elle déterminera précisément les réactions chimiques qui se produisent chez l’animal vivant, comme Spallanzani a élucidé les mécanismes de la digestion et Lavoisier, la respiration. Par l’analyse des organes altérés, elle découvrira ce qui se produit dans les blessures organiques et en quoi les maladies consistent. Elle permettra de découvrir les moyens de prévenir les maladies à leur commencement. Elle simplifiera les remèdes pharmaceutiques, écartera les substances inactives, rendra leur formule plus exacte et plus reproductible… »

Et Chaptal, pour la Chimie Industrielle : « Avant que la Chimie n’eut ramené à des principes généraux les nombreuses opérations de l’industrie, les fabriques, les manufactures étaient, pour ainsi dire, l’apanage de quelques nations et la propriété d’un petit nombre d’individus. Le secret le plus absolu couvrait chaque procédé du voile du mystère; les formules et les pratiques se transmettaient en héritage de générations en générations. La chimie a tout dévoilé ; elle a rendu le domaine des arts le patrimoine de tous, et, en peu de temps, on a vu tous les peuples chez lesquels cette science a été cultivée s’enrichir des établissements de leurs voisins. Les préparations de plomb, de cuivre, de mercure; les travaux sur le fer, la fabrication des acides; l’apprêt des étoffes; l’impression des couleurs sur toile; la composition des cristaux, des terres cuites et des porcelaines; tout cela a été tiré du secret, et forme aujourd’hui une propriété commune...Ainsi, depuis vingt ans, la chimie a créé plusieurs branches d’industrie ».

Ludique, spectaculaire, passionnante, ubiquitaire…

Comme toute science bien faite, la Chimie est un langage, et celui qui n’en connait pas les rudiments ne peut comprendre grand-chose à la biologie, aux médicaments, aux textiles, aux colorants, aux encres, aux plastiques, à la photographie, à la géologie et à ses merveilleux cristaux, à l’air, à l’eau et à leurs polluants, aux cosmétiques, aux métaux et à leurs transformations, aux verres de plus en plus techniques, au pétroles et à ses éventuels substituts, à l’agrochimie et  ses engrais, insecticides, herbicides aujourd’hui décriés, mais qui ont sauvé l’Humanité des famines, aux végétaux et aux étonnantes substances qu’ils fabriquent – le magasin du Bon Dieu, disait Pierre Potier, l’inventeur du taxotère ; et les couleurs des tableaux, et les odeurs des fleurs et des parfums ; tout cela sans la Chimie est incompréhensible.

Alors peut-être peut-on rappeler que l’enseignement de la chimie peut-être passionnant, spectaculaire, ludique et qu’il est sans doute à revoir. Que ce langage peut en partie être acquis assez tôt sous une forme assez  ludique, élémentaire au départ.  Les revues professionnelles sont pleines d’idées de TP intéressant – il faudrait que les enseignants aient avantage de temps à consacrer à la chimie expérimentale.  Il serait sans doute aussi possible de construire une vidéothèque d’expériences spectaculaires – une expérience de chimie périodique en TP, je n’y crois pas trop. Certains aspects se prêtent bien à des simulations ou à des présentations amusantes sur ordinateur.

Sans doute conviendrait-il de commencer assez tôt au collège ou en seconde par un panorama des différents domaines de la chimie. Et peut-être faudrait-il aussi davantage spécialiser les enseignants- séparer la physique et la Chimie ? ou, du moins permettre à ceux que passionnent la chimie de l’enseigner en priorité.

Rien d’impossible : Fourcroy enseignait la Révolution Chimique de Lavoisier devant des auditoires passionnés de 1500 personnes ; il avait fallu pour cela agrandir l’amphithéâtre de Buffon au Muséum d’Histoire Naturelle (Jardin du Roi)
 

dimanche 7 septembre 2014

Ilumina - La révolution génétique est en marche


Le décryptage génétique du génome humain a constitué un exploit technologique, mais certains se demandaient si ses promesses n’avaient pas été surévaluées, en tous cas, elles tardaient à venir. Eh bien, aujourd’hui, la révolution du génome humain est en route. En 2003, le premier génome humain est séquence après une décennie d’efforts et 2.7 milliards de dollars. En 2014, la société californienne Illumina, leader mondial du séquençage avec un chiffre d’affaire de 1.4 milliards de dollars, annonce la mise sur le marché d’un automate de dernière génération qui permet la lecture complète d’un génome pour 1000 dollars en quelques heures.

Cancer : le développement du criblage ADN va permettre une accélération des recherches par la caractérisation des mutations précises de l’ADN causant chaque cancer. Auparavant, les cancers étaient soignés par des molécules toxiques pour toutes les cellules, mais davantage concentrées par les cellules cancéreuses. De plus en plus de médicaments (inhibiteurs de kinases) corrigent spécifiquement les conséquences des mutations à l’origine des cancers et sont moins toxiques et plus efficaces. Pour bien les utiliser, il faudra être capable de lire rapidement le génome

Maladies infectieuses : Le développement de souches résistantes à tous les antibiotiques devient un vrai défi, extrêmement inquiétant, au point que certains parlent d’un retour à une ère pré-antibiotique. Le décryptage de l’ADN permettra de comprendre comment la résistance apparait, de trouver de nouvelles cibles thérapeutiques, de donner rapidement aux patients l’antibiotique le mieux adapté à leur infection, et la rapidité peut être critique

Pharmacogénétique : De nombreux médicaments manquent d’efficacité chez certains patients alors qu’ils sont parfaitement efficaces chez d’autres, ou, au contraire, provoquent chez certains beaucoup plus d’effets secondaires néfastes que chez les autres, sans que cela soit bien compris ou puisse être actuellement prédit. C’est d’ailleurs pour cela qu’il faut bien avoir plusieurs médicaments de même type, de « mee-too » que la revue Prescrire a beau à chaque fois condamner d’un radical et méprisant «  n’apporte rien de nouveau », alors que patients et médecins savent que ce n’est pas vrai. Un exemple est l’anticoagulant ticlopidine, efficace et utilisé depuis longtemps, et dont on vient de comprendre qu’il ne pouvait être efficace chez certains patients qui ne le métabolisent pas. Le décryptage de l’ADN apportera une véritable révolution thérapeutique : chaque médicament pourra être, sera accompagné d’un  test génétique permettant de savoir s’il sera efficace et toléré. Et il n’y aura pas moins de médicaments, mais davantage, mieux adaptés à chaque patients.

Médecine légale : les nouvelles techniques permettront d’augmenter la sensibilité, la rapidité et la sureté des analyses ADN pour les enquêtes. Les manipulations sont plus simples et n’exigent pas  de purification clonales, sont moins sensibles aux contaminations bactériennes etc. ;  elles seront rapidement plus économiques que les techniques existantes, en permettant notamment le remplacement de plusieurs analyses par une seule. Elles permettent également d’en savoir davantage sur l’aspect physique des suspect éventuels ( race, chevelure, couleur des yeux), et peut-être à l’avenir d’obtenir un portrait robot du suspect à partir d’analyse ADN – cela aurait été par exemple bien utile pour interrompre plus rapidement la triste carrière de tueurs en séries comme celui de « l’est parisien». Des victimes décédées inconnues  pourront être identifiées plus facilement.  

Dépistage génétique : c’est l’aspect qui suscite le plus de fantasme et de crainte, peut-être pas le plus important. D’ores et déjà, la trisomie 21 (« mongolisme ») peut être dépistée par un test génétique, sans les risques d’une amniocentèse, et c’est un progrès considérable. Ce sera aussi le cas pour d’autres maladies ou malformations, ce qui permettra aux parents d’exercer leur choix, possiblement dans certain cas de traiter in utero ou juste après la naissance.

Reste que peu de maladies sont sous un déterminisme génétique aussi net. Chaque individu pourra connaître son génome et diverses prédispositions ou risques associés. Il reviendra aux pouvoirs publics de veiller sérieusement à la qualité des informations diffusées et de sanctionner sévèrement les marchands de peur. Ce sera aussi un nouveau rôle, vraiment essentiel, pour les médecins que  d’expliquer le sens des informations ainsi générées, d’en indiquer les conséquences possibles et de présenter et conseiller les conduites possibles les plus appropriées. Ce sera un progrès considérable, permettant enfin, dans certains cas, une vraie prévention.

Jay Flatley, le PDG d’Illumina présente ainsi la situation (Le Monde, 19 août 2014) : «  en 2010, j’ai fait analyser mon génome et appris que je souffrais d’une dizaine de pathologies, et que j’aurais dû mourir des années auparavant…. Cette année, j’ai appris que je risquais de mourir sur la table d’opération si l’on m’administrait certain anesthésiques. C’est précieux de savoir cela ». La qualité et la pertinence des informations ne cesseront de s’améliorer.

Certes des problèmes éthiques se poseront, mais il est difficile de comprendre que plus d’information, si elles sont scientifiquement fondées, ne constituent pas un progrès pour les citoyens, et pourquoi ceux-ci choisiraient-ils d’en faire un usage néfaste. En France le Comité Nationale d’Ethique a déjà tracé une voie assez claire, suggérant qu’on ne peut pas accepter une  « interdiction de savoir », mais qu’il faut aussi un « droit de ne pas savoir », chacun prenant, vis-à-vis du dépistage génétique, une décision strictement individuelle, qui ne saurait lui être imposer par personne ( notamment assurance, banque, organisme de sécurité sociale, Etat…). En tout état de cause, l’interdiction actuelle en France du dépistage génétique est stupide, inique, amorale et intenable. Par contre, il reviendra certainement à l’Etat et à la communauté scientifique de veiller à l’exactitude et à la loyauté des informations ;, et à sanctionner sévèrement escrocs et marchands de peur. Ce sera un nouveau domaine, de nouvelles responsabilités pour l’Agence du Médicament

En Angleterre, le gouvernement Cameron vient de lancer Genetics England – 400 millions de livre pour le décryptage intégral du génome de 100.00 britanniques, dont 20.000 souffrant d’une maladie héréditaire et 20.000 d’un cancer.

Et en France ? Ailleurs en Europe ? On pourrait pas faire ça ensemble ?

La révolution génétique est vraiment en marche, elle ne s’arrêtera pas, elle changera le monde , nos vies, nos façons de penser, nos industries.  Un bon sujet de réflexion et de prospective pour le ministère du redressement industriel, si nous en avons encore un ?