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jeudi 13 février 2014

Vive l’instruction publique


Les non-dits à propos de Pisa

Les résultats de l’enquête Pisa sur les performances scolaires des pays de l’OCDE ont mis en évidence une dégradation continue du système français. En mathématiques en particulier, la France a perdu 5 places, passant de la 13e à la 18e place sur 34 pays. Plus inquiétant encore, la proportion d'élèves en difficulté s'est, envolée (22,4 %, contre 16,6 % il y a dix ans). L'OCDE considère que ces élèves (près d’un quart d’une classe d’âge !) n'ont pas les « compétences suffisantes pour poursuivre des études et participer de manière efficace et productive  à la vie de la société ». Les résultats ne sont pas meilleurs dans les disciplines littéraires, et, plus simplement, la compréhension de l’écrit. La situation française s’explique et se caractérise par un accroissement des écarts de niveau entre les élèves, une augmentation du nombre d’élèves en difficulté, alors que dans les autres pays de l’OCDE, cette part est stable et moindre. L’école actuelle perpétue, voire amplifie les inégalités sociales, et  plus qu’avant. L’élite française reste, elle, à un bon niveau.
 
Derrière cela, un non dit, rapidement évoqué dans le rapport et très rarement, pratiquement jamais, dans les commentaires pourtant abondants : le poids de l’immigration, les faibles performances scolaires des fils d’immigrés de la première et de la seconde génération.
 Alors est-il juste de comparer les performances de systèmes scolarisant des populations ethniquement et culturellement homogènes (Ah les systèmes finlandais, chinois, coréens, japonais !). Est-il même seulement intelligent (non, il est très bête !) de prétendre vouloir s’inspirer des méthodes de ces systèmes (par exemple, l’absence de redoublement), en ignorant les défis de l’immigration et des différences culturelles ? (En passant, il faudrait quand même s’intéresser de près à la fabrication des chiffres PISA ; pour la Chine, par exemple, il s’agit de Shanghai, et encore d’un Shanghai dont sont exclus les enfants des travailleurs migrants, qui n’ont pas le droit d’y être scolarisés - plus homogène, pas possible)
Et qu’on ne prétende pas en abordant ce sujet faire le jeu de partis extrémistes ! Car, c’est au contraire en taisant les problèmes, en imposant des tabous prétendument moraux sur des évidences qu’on nourrit les colères.
 
Le déni des cultures
 
 Il ne s’agit pas de « régler » le problème par l’expulsion massive (et impossible) des immigrés, il s’agit d’y faire face lucidement ; car la confrontation bienveillante et apaisée des jeunes écoliers français avec des enfants de cultures et d’origine variées, leur enrichissement réciproque dès la période de l’enfance pourraient constituer une grande chance, un atout immense, dans l’univers mondialisé. Oui, un atout immense alors que Chinois, Japonais, Coréens s’interrogent sur leur système qui s’apparente un peu beaucoup au dressage et ne favorise pas assez l’ouverture d’esprit, l’originalité, l’inventivité.
Ce déni de l’immigration et des cultures a été justement dénoncé par le sociologue Hugues Lagrange en ce qui concerne la délinquance. Oui, il existe des différences importantes de culture vis-à-vis de l’école, oui, toutes les cultures ne sont pas égales : que l’on compare honnêtement les performances des jeunes Vietnamiens et Chinois et celles des jeunes d’autres origines ; ou pour rester en France « de souche », celle des Bretons et des Alsaciens à d’autres départements.
Si l’on pose lucidement le problème, des solutions peuvent apparaitre : s’occuper aussi de l’instruction, de l’alphabétisation du rôle et de l’autonomie des femmes ; renoncer au moule unique, à la classe d’âge et faire des classes d’acclimatation plus ciblées ; encourager les davantage les comportements vertueux (assiduité, respect des enseignants, de la discipline, résultats scolaires) et surtout sanctionner davantage leurs manquements
Oui, la discipline ; car, comme rappelle sur son blog le professeur Ali Devine, l’étude Pisa mentionne aussi que les classes françaises sont beaucoup plus bruyantes que celle des autres pays de l'OCDE (plus de 40 % des élèves s'en plaignent) et  que les professeurs sont beaucoup plus souvent obligés d'y attendre avant d'avoir le calme.
Et reste encore ceci, également rappelé par Ali Devine ; « depuis la calamiteuse réforme Darcos,  par rapport à ce qui se faisait il y a vingt ans, un élève de cours élémentaire consacre 100 heures de moins chaque année aux matières fondamentales (français, mathématiques, éveil, devoirs). Par rapport à un élève d'il y a cinquante ans, la différence est de 250 heures… ». Et la réforme Peillon des rythmes scolaires ne redonne pas vraiment plus de temps pour apprendre…
 
 Et le genre ?
 
Malgré les dénégations officielles, il y a bien eu une convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons dans le système éducatif appelant à « rendre visibles les recherches sur le genre », « à réaliser un travail de vulgarisation et de diffusions des recherches sur le genre » (Le Monde, 14 février 2004). Malgré les dénégations, il y a bien eu des lectures conseillées de « Papa porte une robe », de « Jean a deux mamans », de « Théo attendait un papa, il en a deux ». Et Mme Najat Vallaud-Belkacem a bien vanté à de multiples reprises la théorie du genre avant que Vincent Peillon ne dise qu’il ne voulait pas en entendre parler. Et comme le rappelle Marianne (7 février 2014), c’est un sociologue de gauche incontestable, François Dubet qui s’interroge :  « Des groupes qui avaient une identité culturelle forte estiment que les valeurs se dérobent sous leurs pieds…Quand on commence par dire qu’une petite fille a deux papas, formule à laquelle j’adhère personnellement, on rentre dans le dur du sujet…Est-ce que l’école a besoin d’en passer par là aujourd’hui pour promouvoir l’égalité fille-garçons ? Il est terrible qu’il ait fallu des gens comme Alain Soral ou Farida Belghoul pour que cette question soit posée. »
 
 Revenir à Jules Ferry et à l’instruction publique
 
Oui, revenir à Jules Ferry, ce ministre positiviste,  et à la laïcité française « J’ai dit que votre rôle en matière d’éducation morale est très limité. Vous n’avez à enseigner, à proprement parler, rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier, comme à tous les honnêtes gens… Au moment de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait, de bonne foi, refuser son assentiment à ce qu’il entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ».
Et revenir à la mission de l’école : lire, écrire, compter d’abord, histoire, géographie, introduction aux sciences et aux arts ; l’anglais en plus, ce serait pas mal ; nos voisins y parviennent bien
Et qu’on cesse d’exiger de l’école et des enseignants qu’ils règlent tous les problèmes de la société, les inégalités sociales, les inégalités de sexe, le chômage, l’immigration et l’intégration- le fardeau est bien trop lourd, bien trop désespérant.
Car c’est l’instruction, l’instruction simplement, l’instruction efficace, réussie qui rend libre, qui permet de s’échapper ensuite au moins en partie des conditionnements, des déterminismes ethniques, culturels, sexuels, sociaux. C’est l’instruction, la condition nécessaire ! L’instruction d’abord, et le reste pourra venir par surcroît ; sans instruction,  rien ne sera possible.
Pourquoi ne pas supprimer l’Education nationale pour revenir à l’Instruction publique? Elle a bien rempli sa mission, dans un pays qui n’était encore guère unifié, ni par les cultures, ni par les conditions, et pas trop même encore par la langue. Au moins, le projet, les idées, les priorités sont claires.
 

samedi 8 février 2014

Carmat : au cœur (artificiel) de l’innovation

Une première mondiale : 18 décembre 2013

Le jeu de mot est facile, et Carmat, ses fondateurs, ses chercheurs, ses actionnaires méritent mieux que cela. Carmat a réussi l’implantation du premier cœur artificiel sur un patient âgé de 75 ans, atteint d’insuffisance cardiaque en phase terminale.

Il s’agit d’une première mondiale, qui répond au besoin immense et croissant de dizaine de milliers de patients ne serait-ce qu’en  en France et aux USA, en insuffisance cardiaque avancé et qui ne peuvent être greffées faute de greffons ; et les futurs implantés n’auront plus à attendre leur salut de la mort brutale d’un  autre
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Il s’agit aussi d’un bijou (900g) de technologie qui devrait permettre de rendre aux malades leur mobilité, une pompe élaborée qui sait s’adapter aux efforts nécessaires dans les diverses situations de la vie courante, utilisant un biomatériau spécialement traité pour éviter la formation de caillots ; avantage supplémentaire pour les patients par rapport aux greffons humains, il n’y a aura plus besoin de traitements anti-rejets à vie, traitements difficiles à supporter et favorisant les infections.

C’est aussi une aventure humaine extraordinaire, celle d’abord du professeur Alain Carpentier, un chirurgien, un inventeur et pionnier de la chirurgie valvulaire (chaque année, 250000 malades dans le monde sont traités par des procédés de son inventions, des « biogreffons » issus de porc et traités chimiquement pour éviter la formation de caillots), un homme aussi qui s’est préoccupé de développer la chirurgie cardiaque dans les pays en développement, notamment au Vietnam) ; une longue aventure exceptionnelle qui a duré plus de vingt-cinq ans – vingt cinq ans de recherche, développement, investissement - les premiers brevets furent déposés en 1985.

Puis ce fut  l’alliance, en 1993, avec Jean-Luc Lagardère, président de MATRA, pour la création d’un concept de cœur artificiel complet incluant les ventricules, les actionneurs et une électronique de commande totalement embarquée au sein d’un dispositif unique, la création du GIE CARMAT, les premières implantations animales réussies sur le veau, la conception du système, de matériaux biocompatibles, de polymères particuliers et de technologies embarquées et le dépôt de plusieurs nouveaux brevets concernant l’architecture, la membrane, le « Locking interface device », la pompe et la régulation physiologique de 1995 à 2004.

Une longue aventure humaine, avec tous ceux qui entouré Alain Carpentier, qui l’ont aidé, qui ont cru à son invention, une aventure qui n’aurait sans doute pas été possible sans le premier investisseur, Jean-Luc Lagardère, le patron de Matra qui aimait les défis technologiques ; sans les chercheurs, mais aussi l’énergie, le savoir-faire et l’engagement constant  du Dr Philippe Pouletty, dirigeant de France Biotech et de Truffle capital, et de bien d’autres.

Il faut encore remercier le fonctionnaire de l’Agence du médicament (ANSM), qui a du assez mal dormir avant de donner l’autorisation d’implantation ; cette première française  a failli se dérouler en Belgique, en Slovénie, en Pologne ou en Arabie saoudite, où des autorisations d’implantations ont été obtenues

Le cœur des problèmes de l’innovation

Non seulement le cœur artificiel de Carmat permettra de résoudre un besoin majeur de santé publique, mais il résout aussi un problème économique : le cœur coutera environ 150.000 euros, soit le coût d’une transplantation, et son prix pourrait encore diminuer avec la fabrication en série ; et il permet d’éviter des traitements immunosupresseurs à vie ( et leurs effets) d’ »un coût de 20000 euros par ans.
Le développement de Carmat a été permis par un investissement initial de 15 millions d’euros d’EADS (Lagardère, à l’époque), puis des levées de 16 millions d’euros  en 2010 et 30 milions en 2011 (Truffle Capital) et enfin un prêt de 30 millions d’Oseo-BPI (Banque publique d’investissement)
Mais, pour les Carmat d’aujourd’hui, qui investira et prendra un tel risque ? Où sont les Lagardère d’aujourd’hui ? - Surement son héritier de nom, mais pas d’esprit !

Un effet paradoxal et quelque peu révoltant  : plus et mieux le patient implanté survit, plus le cours de Carmat ( après une forte hausse initiale), baisse.
C’est que les « marchés » ne savent pas comment Carmat, en cas de succès pourra financer son développement, si la société pourra rester indépendante, si des capitaux suffisants pourront être levés, si des nouveaux investisseurs seront trouvés et lesquels, et comment seront traités les investisseurs initiaux
Nous ne savons pas financer le développement de Carmat et d’autres sociétés qui ont réussi leur phase de recherche et développement ; nous ne savons pas transformer nos succès technologiques, parfois immenses,  en multinationales.
C’est aussi à une stratégie offensive que le Ministère du développement productif doit  s’intéresser ; et pas seulement à son rôle de pompier des crises. Une stratégie offensive qui passe aussi par l’organisation d’une Europe de l’innovation plus efficace